Guy de Maupassant : L’instruction obligatoire. Texte publié par Pierre Borel dans Le Temps du 27 novembre 1927.
Mis en ligne le 30 avril 2000.

L’instruction obligatoire

On nous dit : nous avons des écoles dans presque tous les villages et le nombre des enfants inscrits est considérable. Mais l’inscription prouve-t-elle l’assiduité ?
Ceux mêmes qui vont à l’école y passent quatre ou cinq semaines d’hiver pour disparaître au printemps et revenir vers l’automne tout aussi ignorants que les premiers jours. Après trois ou quatre ans de cette instruction insuffisante, ils quittent la classe à tout jamais et, ne sachant pas assez lire pour prendre plaisir à un livre, se trouvent au bout de peu de temps aussi illettrés que s’ils n’avaient jamais tenu un alphabet.
Dans beaucoup de maisons de paysans, il n’y a ni plume ni papier, ni crayons ni ardoises.
L’école ne suffit donc pas sans l’enseignement obligatoire, et l’intervention de l’État est nécessaire.
Est-elle légitime ? N’y a-t-il pas attentat contre la liberté du père de famille, si on le force à envoyer son enfant à l’école ? Ce sont les adversaires de la liberté qui presque toujours réclament celle de l’enseignement.
En premier lieu : qui dit État constitué dit liberté restreinte. L’État surveille la liberté, accomplit ce qu’elle est impuissante à faire ; il a une mission et par conséquent un droit. L’État porte atteinte à la liberté de posséder par la perception des contributions ; il porte atteinte à la liberté individuelle par le service militaire : et personne ne réclame. Il aurait donc le droit d’imposer la caserne et non celui d’imposer l’école ? Il donne lui-même l’enseignement, surveille celui qu’il ne donne pas, oblige les communes et les départements à le donner ; il n’a plus qu’un pas à faire pour forcer les enfants à le recevoir.