Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome I, pp. 182-183, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Gustave Flaubert

Ministère de la Marine
et des Colonies
Paris, le 2 décembre 1878.
Je ne vous ai point écrit plus tôt, mon cher Maître, parce que je ne sais rien de plus. Je n’ai pas pu parvenir à voir M. Bardoux jeudi. J’ai essayé de nouveau vendredi et samedi sans succès. Enfin j’ai été reçu ce matin par M. Charme.
II m’a dit : « M. le ministre veut agir avec douceur. Vous devez remplacer ici le fils d’un de ses vieux amis (M. de Pressensé) et il tient avant de vous prendre à prévenir lui-même le père du jeune homme. Nous lui avons déjà écrit trois fois de venir, mais nous ne l’avons pas vu, et il ne nous a pas répondu. Ne vous dérangez pas davantage, je vous préviendrai quand ce sera fait. » — Et il m’a salué. Tout cela me paraît louche. Et si ce monsieur de P. ne vient pas ? Me faudra-t-il attendre sans fin. Et s’il prie M. Bardoux de garder son fils quand même, et si le ministre y consent ? Enfin, attendons, puisqu’il n’y a que cela à faire. Je suis d’autant plus embêté que mon chef a su, je ne sais comment, que je cherchais à m’en aller. Et il m’a prévenu qu’il en avait rendu compte au Directeur. Avec tout autre homme que M. Bardoux, je serais tranquille. Après les promesses formelles qu’il m’a faites, puisque je sais même quel travail on doit me donner à mon arrivée, (refaire l’annuaire de l’Instruction publique) ; mais, avec lui, je crains tout. Il a fait annoncer, il y a un mois, à Mme Pasca, que son admission aux Français était chose faite définitivement. C’était faux. Elle a été d’autant plus désappointée qu’elle n’y comptait plus guère et que cet espoir nouveau l’avait ravie.
Zola nous a lu deux chapitres de Nana ; j’aime peu le second, le troisième me paraît mieux. La division du livre ne me plait pas. Au lieu de conduire son action directement du commencement à la fin, il la divise, comme le Nabab, en chapitres qui forment de véritables actes se passant au même lieu, ne renfermant qu’un fait ; et, par conséquent, il évite ainsi toute espèce de transition, ce qui est plus facile. Ainsi : 1er chapitre : Une représentation aux Variétés ; 2e chapitre : L’appartement de Nana ; 3e chapitre : Une soirée chez le comte Mupha ; 4e chapitre : Un souper chez Nana. Etc.
Ma mère ne va pas mieux, mais les médecins sont plus rassurants sur la maladie, quoiqu’ils ne s’entendent pas sur le traitement à suivre.
Adieu, mon cher Maître, je vous embrasse fort et vous serre les mains. Rappelez-moi au bon souvenir de Madame Commanville.
Guy de Maupassant