Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome I, pp. 19-20, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À sa mère

Paris, ce samedi [27 août 1870].
Je t’écrirai encore quelques mots aujourd’hui, chère mère, parce que d’ici à deux jours les communications seront interrompues entre Paris et le reste de la France. Les Prussiens arrivent sur nous à marche forcée. Quant à l’issue de la guerre, elle n’offre plus de doute, les Prussiens sont perdus, ils le sentent très bien du reste et leur seul espoir est d’enlever Paris d’un coup de main, mais nous sommes prêts ici à les recevoir.
Quant à moi, je ne couche pas encore à Vincennes et je ne me presse pas d’y avoir un lit, j’aime mieux être à Paris pour le siège que dans le vieux fort, où nous sommes logés là-bas, lequel vieux fort sera abattu à coup de canon par les Prussiens. Mon père est aux abois, il veut absolument me faire entrer dans l’Intendance de Paris, — et il me fait les recommandations les plus drôles pour éviter les accidents. — Si je l’écoutais, je demanderais la place de gardien du grand égoût collecteur pour ne pas recevoir de bombes. Robert va se trouver au premier feu à Saint-Maur. Les mobiles ont le chassepot, ils font bonne contenance. Médrinal m’a écrit pour que je lui prête mon Lefaucheux ; je vais lui répondre que je l’ai promis à mon cousin Germer. Mme Denisane m’a offert hier une place à l’Opéra, j’ai été entendre la Muette, c’est très joli.
Faure-Dujarric, qui est très lié avec l’intendant général, s’est mis tout à ma disposition pour me caser le plus agréablement possible, il a été trouver l’intendant et il y retourne demain, car la vie de caserne est bien ennuyeuse, je serai bien mieux dans les bureaux ou au camp, mais on n’y verra plus personne, les communications avec l’armée étant devenues très difficiles.
Adieu, chère mère, je t’embrasse de tout cœur, ainsi qu’Hervé. Bien des choses à Josèphe. Mon père te serre la main.
Ton fils,
Guy de Maupassant
Je m’embête abominablement ! Quand je serai repris à l’Intendance il fera beau temps ! Médrinal peut prendre l’autre fusil.