Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome I, pp. 186-187, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Gustave Flaubert

Ministère de la Marine
et des Colonies
Paris, ce 11 décembre 1878.
Je vous ai promis des nouvelles, mon cher Maître ; elles ne sont pas aussi bonnes que je l’aurais espéré. M. Bardoux a bien fait sa demande officielle, mais les termes en sont si ambigus qu’elle soulève ici des difficultés presque insurmontables. Il demande que je lui sois prêté seulement, tout en continuant à faire partie de l’administration de la Marine, et il insiste sur ce point. C’est un moyen de me renvoyer ici le jour de sa chute. Les directeurs de la Marine vont répondre qu’ils ne verraient aucun inconvénient à mon passage pur et simple au ministère de l’Instruction publique, mais que les règlements ne permettent pas la cession temporaire d’un employé à un autre ministère. Comment ne veut-il pas me nommer chez lui tout simplement ? Pourquoi tous ces moyens tortueux ? Voilà donc que tout est remis en question. Aussitôt que la réponse de l’amiral Pothuau sera partie, je retournerai voir M. Charme. Ces gens-là ne sont pas francs. Ils se trouvent forcés d’exécuter leurs promesses, et ils cherchent des biais pour se tirer d’affaire. M. Bardoux laisse entendre très clairement dans sa lettre que je retournerai à la Marine quand le surcroît de travail qui le force à me demander à son Cabinet aura cessé. C’est bien le moyen pour qu’on refuse de me laisser aller.
Rien de nouveau des autres côtés. Ma mère est toujours dans le même état, ni mieux, ni plus mal. Elle vous embrasse.
Je suis embêté, nerveux, je ne puis pas travailler ; mon chef, qui se croit sûr de me garder si cela lui plaît, maintenant qu’il a vu les termes de la lettre de M. Bardoux, me traite de haut en bas. Les sales cochons !
Je vous enverrai des nouvelles quand j’en aurai.
Je vous embrasse, mon cher Maître, et vous serre bien tendrement les mains.
Guy de Maupassant1

1 Cf. Flaubert, Correspondance inédite (éd. Conard, tome IV, N° 1094).