À Gustave Flaubert
Cabinet du ministre de l’Instruction Publique des Cultes et des Beaux-Arts |
Paris, ce jeudi [mars 1879]. |
Mon cher Maître,
Je viens d’apprendre plusieurs choses qui vous touchent. Le Ministre a donné l’ordre à son chef de cabinet de vous écrire pour vous prier d’accepter un titre honorifique accompagné d’une rente donnée sous le nom de traitement afférent à ce titre. La démarche est dans tous les cas fort aimable et la chose est préparée et annoncée de façon à ce que cette démarche soit regardée comme un hommage rendu par le gouvernement et non comme une pension d’homme de lettres. On s’attend à ce que vous acceptiez la chose faite de la sorte. Vous ne serez tenu à rien, ni à la résidence à Paris ni à un service actif. Les fonds étant pris sur le chapitre 25 destiné aux Indemnités littéraires et aux pensions d’hommes de lettres cette mesure n’a rien d’anormal. Sandeau et presque tous ont une rente sur ce chapitre en sus du traitement de leur place. Le titre qu’on vous offre est considéré comme devant vaincre vos résistances, puisqu’il constitue un hommage rendu par le ministre. Il ne m’appartient point de chercher à vous pousser dans un sens ou dans l’autre, mais il me semble qu’à votre place j’accepterais ; vous n’avez rien demandé ; on vous prie d’accepter ; c’est aussi honorable pour celui qui offre que pour celui qui reçoit. Vous ne barrez le chemin de personne : vous ne pouvez éveiller aucune susceptibilité ni exciter aucune jalousie. Aucun bourgeois, comme Baudry, ne peut dire que vous avez pris sa place.
Quoi que vous fassiez, j’ai tenu à vous prévenir immédiatement.
Je vous embrasse bien fort, mon cher Maître.
1 Cf. réponse de Flaubert, Correspondance inédite (éd. Conard, tome IV, N° 1144).