À Gustave Flaubert
Cabinet du ministre de l’Instruction Publique des Cultes et des Beaux-Arts |
Paris [début de mars 1880]. |
Mon bien cher Maître,
J’ai une paralysie de l’accommodation de l’œil droit, et Abadie considère cette affection comme à peu près inguérissable. Il me suffira cependant de porter un pince-nez avec un verre spécial pour rétablir la vision normale.
Mais mon médecin (qui est professeur à la Faculté) tout en admettant parfaitement l’existence de cette affection, affirme qu’elle se guérira. Il croit qu’Abadie n’a nullement débrouillé mon état pathologique. Je suis, d’après lui, atteint de la même maladie que ma mère, c’est-à-dire d’une légère irritation de la partie supérieure de la moelle. Donc troubles du cœur, chute des poils ou accidents de l’œil auraient la même cause, et tous ces symptômes disparaîtraient également pour faire place à d’autres, voilà. Je crois qu’il a raison. (On a observé plusieurs fois des chutes complètes de poils, absolument analogues à la mienne, et ayant des causes purement nerveuses.)
Dans tous les cas, c’est bougrement emmerdant.
Merci encore, mon bien cher patron, de votre éloquente lettre qui m’a sauvé et de votre vive intervention. Que dites-vous du procureur général affirmant que je n’étais pas personnellement en cause, quand j’ai comparu et subi un interrogatoire comme prévenu ? — Et s’il n’y avait que des vers comme les miens dans la revue, on n’aurait pas poursuivi ? Alors, pourquoi a-t-on visé mes vers ? Quant à l’autre morceau incriminé, la nouvelle intitulée
Adnia1, je déclare que c’est de l’eau de roche à côté de
Au bord de l’Eau. S’ils condamnent cela, ils seront forts.
Ce sont des misérables — et des lâches. Leur retraite à mon sujet est bien belle. Enfin, c’est fini. Et cette rosse de Charpentier ne m’a pas encore envoyé à l’impression. Il me promet chaque matin que j’y serai le soir.
Je vous embrasse bien tendrement.
Vous recevrez demain par la poste 2 volumes de Spencer. Je me suis rappelé que l’Introduction à la Science sociale m’avait été prêtée par Baudry.
1 Adnia, nouvelle de l’écrivain américain Minturn (Defentry Wright).