Au secrétaire de rédaction de la
Nouvelle Revue
Monsieur,
Je reçois une lettre de Gustave Flaubert
1 qui me jette dans un grand embarras. Voici pourquoi. Il y a cinq mois environ, j’ai eu l’honneur de me présenter chez Madame Adam pour lui demander de publier dans la
Nouvelle Revue un poème de moi intitulé « Vénus rustique ». Madame Adam, tout en ne m’accordant point ma demande, eut l’amabilité de m’inviter à faire pour sa Revue une pièce de vers moins étendue.
Je m’empressai d’achever cette pièce et je l’envoyai.
Des mois s’écoulèrent. Je n’osai point, par pure discrétion, faire une nouvelle visite, dans la crainte de sembler vouloir, grâce au nom et à l’amitié de Flaubert, forcer la détermination de Madame Adam à mon sujet.
Au bout d’un temps si long, je me croyais refusé définitivement et, comme mon volume de vers où se trouve la pièce en question va paraître le 21 ou le 22 de ce mois, comme d’un autre côté, le directeur de la Réforme me demandait des vers avec insistance, je me jugeai si bien dégagé vis-à-vis de Madame Adam que je donnai à la Réforme mon poème « Fin d’Amour » qui a dû paraître hier.
Je le regrette et je suis désolé ; mais, de toute façon, vous ne l’auriez pu publier qu’après l’apparition de mon volume qui sera en vente dans trois jours ; cela n’aurait donc encore été qu’une reproduction.
Je vous laisse juge, Monsieur, de ce qu’il faut faire. Publiez ou ne publiez pas, suivant votre sentiment, mais faites agréer, je vous prie, toutes mes excuses à Madame Adam, en même temps que l’hommage de mes sentiments très respectueux et très dévoués, et agréez vous-même l’assurance de ma considération la plus distinguée.
Guy de Maupassant 17, rue Clauzel. |
1 Cf. Flaubert, Correspondance (éd. Conard, tome IX, N° 1980).