Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome I, pp. 7-9, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À sa mère

Yvetot, ce 2 mai 1864.
Chère maman,
On ne donnera les places que cet après-midi, et je commence ma lettre ce matin.
Je viens d’apprendre qu’on ne donnera les places que demain mardi, parce que M. le Supérieur est à Rouen aujourd’hui. Nous n’avons plus une seule rougeole. Je désespère pour mon Racine ; je croyais que nous avions encore au moins cinq compositions en thème latin, et il n’y en a plus qu’une, et deux en grec. Je ne comprends rien à cette malheureuse langue. Donc, je n’espère rien de bien pour le grec. Quant à la composition en version, dont on donnera les places demain, je crois être bien. Nous ne composerons plus maintenant avant près de 3 semaines. Je ne t’écrirai plus avant la sortie. Ainsi donc, entendons-nous pour cela, tu sais que nous ne rentrons qu’à 7 heures du soir. Si Germer1 est revenu, tu pourras venir avec ma tante, qui compte venir en voiture, et ainsi partir le plus tard possible sans être fixée par le train, ni obligée de coucher ici. Écris-moi pour me dire quelle est ta résolution. Que vas-tu faire ?
Eh bien, voici de la pluie ; il y a assez longtemps que nous la demandons. Je voudrais savoir quand commence l’été d’après le calendrier.
Comment va Henri ? a-t-il toujours ses camarades ? Sais-tu si Germer va bientôt revenir ? va-t-il mieux ? Il a eu des vacances assez longues, j’espère ; il n’a pas à se plaindre.
Tu diras que j’en parle bien longtemps d’avance, mais si cela ne te faisait rien, au lieu du bal que tu m’as promis au commencement des grandes vacances, je te demanderai un petit dîner, ou bien seulement, toujours si cela ne te faisait rien, de me donner seulement la moitié de l’argent que t’aurait coûté le bal, parce que cela m’avancera toujours pour pouvoir acheter un bateau. Et c’est l’unique pensée que j’ai depuis la rentrée, non seulement depuis la rentrée de Pâques, mais aussi depuis la rentrée des grandes vacances. Je ne veux pas acheter des bateaux que l’on vend aux Parisiens, cela ne vaut rien, mais j’irai chez un douanier que je connais et il me vendra un bateau comme ceux qui sont dans l’église, c’est-à-dire un bateau-pêcheur tout rond dessous. Si je n’ai pas de prix, j’espère au moins avoir un accessit.
Je n’ai plus le temps de continuer ma lettre aujourd’hui, chère maman ; à demain.

Ce mardi.
Je suis 2e en version latine. Tu vois que me voici revenu entre les 1ers ; j’ai manqué être premier : ma composition a été à 2 professeurs avec celle du 1er. Mais je suis 2e, cela fait 30 sous que tu me dois, et bonne maman 30. Cela me donne 3 francs. Mais il n’y a plus qu’une composition en latin, je ne pourrai pas gagner mon Racine, mais si j’ai un ou deux accessits, voudras-tu me le donner ?
Adieu, chère maman, je t’embrasse très fort. Embrasse bien Hervé2 pour moi.
Ton fils,
Guy de Maupassant

1 Germer d’Harnois de Blangues, cousin de Guy de Maupassant.
2 Frère cadet de Guy de Maupassant.