Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome I, pp. 34-35, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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De Laure de Maupassant
à Gustave Flaubert

Étretat, le 10 octobre 1873.
Cette lettre ira te trouver à Croisset, mon vieux camarade, et je voudrais bien faire comme elle. Depuis ce printemps, depuis ton invitation si pressante et si cordiale, j’ai gardé cette idée fixe d’aller te serrer la main ; mais il faut attendre, attendre encore, attendre toujours, et la vie se passe ainsi. On peut quelquefois venir à bout des grands obstacles ; il n’en est pas de même des petits ; ceux-ci se groupent, se multiplient, et il faut céder au nombre. D’abord, j’ai été très souffrante d’une fièvre nerveuse, qui ne m’a point encore fait des adieux définitifs ; puis ma maisonnette a été remplie de visiteurs pendant toute la saison des bains. J’ai eu Virginie et ses enfants, le ménage Louis Le Poittevin, Gustave de Maupassant, et enfin mon bien-aimé Guy. À l’heure qu’il est, je reste seule avec mon compagnon ordinaire, le jeune sauvage qui n’a pu s’acclimater loin du pays natal. Les études nous occupent beaucoup ; il faut arriver au baccalauréat avant le service militaire ; et ce n’est point une mince affaire avec les ressources dont nous disposons. Nous avons pourtant tout espoir de réussir. Tu vois comment s’en vont nos journées, et tu me pardonnes de résister à tes instances et à mon désir ; mais si tu veux être tout à fait bon et charmant, tu t’arrangeras de manière à me faire une visite pour commencer, et tu apporteras la joie dans notre ermitage. Rien de plus facile, à ce qu’il me semble. Quand Guy aurait quarante-huit heures de liberté, il te prendrait en passant, et vous viendriez tous les deux jusqu’ici. Est-ce donc te demander trop, et ne peux-tu faire cela pour ta vieille amie ? Allons, réfléchis, et tâche de dire oui.
Ta lettre m’a fait peine et plaisir à la fois ; il est bien bon de se souvenir ; mais il y a dans tout ce passé tant de points douloureux. Moi aussi, je suis souvent avec les morts et je crois que leur image devient plus vivante, plus réelle, plus palpable, à mesure que j’avance en âge. L’avenir pourtant me sourit encore dans mes deux chers garçons, mais ils sont bien forts les liens qui nous attachent aux choses et aux êtres disparus. Ils nous font sans cesse retourner la tête. Est-ce que les morts ne peuvent plus nous aimer ?
Oui, tu as raison, nous avons grand besoin de nous revoir et de causer. Guy le sait bien puisque je ne cesse de le questionner sur tout ce qui te concerne. Tu es si excellent, si parfait pour mon fils que je ne sais comment te remercier. Le jeune homme t’appartient de cœur et d’âme, et moi, je suis comme lui, toute tienne maintenant et toujours.
Adieu, mon cher compagnon, je t’embrasse de toutes mes forces.
Le P. de Maupassant
J’ai vu Caroline et son mari, mais un instant seulement, et j’ai bien regretté de ne pouvoir les retenir un jour ou deux sur notre rivage. Offre-leur mes bien affectueux souvenirs1.

1 Cf. lettre de Flaubert, Correspondance (éd. Conard, tome VII, 1930, N° 1420).