Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome II, pp. 47-49, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Émile Zola

Ce vendredi [janvier 1882].
Cher Maître et ami,
J’ai du remords, du remords terrible. Voici deux mois que je suis revenu à Paris, et je n’ai pas encore trouvé un jour pour aller vous voir à Médan. J’ai eu des tas d’histoires, des tas d’affaires de toute sorte, et beaucoup de travail, et beaucoup de choses en retard. Il m’a fallu produire tant de copie pour payer une maison que j’ai fait construire à Étretat1, que je ne pouvais vraiment plus trouver deux heures. De jour en jour je remettais mon voyage chez vous ; puis je passais rue de Boulogne pour savoir si vous alliez revenir à Paris, puis je ne partais pas, retenu par quelque détail.
J’ai même un jour dit à M. de Cyon que je me rendrais le lendemain à Médan, et il m’avait chargé de vous prévenir qu’on commencerait votre roman dans Le Gaulois le 22 janvier2.
Je n’ai pas eu le temps de voir non plus Huysmans et Céard. Mais j’ai vu Hennique et rencontré Alexis, très tard, un soir, le long d’un mur, aux Batignolles. Il m’a donné de vos nouvelles, car il arrivait de Médan.
J’avais la formelle résolution d’aller au moins vous dire bonjour avant le 1er janvier, mais me voici retenu dans ma chambre pour un temps indéfini, m’étant tiré stupidement un coup de revolver dans la main. La balle a suivi un doigt dans toute sa longueur et est sortie par le bout. Donc, toute excursion étant encore impossible je veux au moins dire que je pense à vous quoi que vous en puissiez croire. J’y pense même sans cesse tourmenté que je suis par la conscience de ma longue et injustifiable négligence.
Enfin, j’espère que vous ne m’en voudrez point, et que Madame Zola me pardonnera cette bien persistante absence.
Reviendrez-vous à Paris d’ici quelque temps, ou bien resterez-vous encore à Médan ? Je pense pouvoir sortir dans une quinzaine de jours. Si vous ne devez pas rentrer incessamment rue de Boulogne, ma première visite sera pour vous, en votre province.
À bientôt, cher Maître et ami ; je vous serre bien cordialement les mains, en vous priant de présenter à Madame Zola mes compliments empressés et respectueux.
Guy de Maupassant

1 La Guillette, « située, dit François Tassart le valet de chambre, à quinze kilomètres de la gare... La maison était isolée dans le Grand Val sans beaucoup de vue... »
2 Pot-Bouille, publié en feuilleton dans Le Gaulois, à partir du 23 janvier 1882. Un article de Maupassant annonça la publication.