Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome II, pp. 59-61, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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Pages 1 et 4

À Georges Charpentier

Ce 28 novembre 1882.
Mon cher ami,
J’ai reçu avec un certain étonnement, au lendemain de ma conversation avec M. Gaullet, le projet de traité que vous avez eu l’inspiration de m’envoyer.
Quelle drôle d’idée vous prend tout à coup de vouloir faire un traité avec moi alors que vous n’y aviez jamais songé jusqu’ici ?
Je vous ai offert mon livre1. Vous l’avez accepté sans me parler de traité. Il a paru sans qu’il fût une seule fois question de traité entre nous.
Trois ans se sont écoulés sans que nous ayons soulevé et discuté l’idée d’un traité ; et tout d’un coup vous m’envoyez un papier timbré en double expédition.
En principe, je suis résolu à ne jamais signer de traité définitif. Je n’ai, d’ailleurs, avec M. Havard, que des conventions verbales. Mais, si je devais signer un traité avec vous, je ne le ferais que dans les conditions que j’ai trouvées ailleurs. Les voici.
Jusqu’au troisième mille, je reçois 0 fr. 40 par exemplaire.
À partir du troisième mille, 1 franc par exemplaire.
La main de passe n’est que de 100.
Au bout de six ans je redeviens libre de disposer de mon œuvre comme je l’entends.
J’ai toujours le droit de faire, quand il me plaît et où il me plaît des éditions de luxe ou illustrées de mes livres.
Ces conventions m’ayant été jusqu’ici très avantageuses, je n’ai pas le désir de les modifier.
La pensée m’est venue de faire une édition de luxe des Vers2 (on m’offre 1500 francs immédiatement pour un tirage à 1500 de ce livre déjà paru (5 fr. le volume, prix fort)) et j’ai été chez vous pour vous en parler et savoir ce qui vous restait en magasin. J’ai reconnu que la vente de votre édition était complètement arrêtée, ce qui m’a décidé à faire une autre édition de luxe pour vous aider à écouler ce qui vous reste.
J’allais retourner chez vous pour traiter cette question et vous demander à quelles conditions vous réimprimeriez votre édition à 3 fr. 50 quand ce que vous avez serait épuisé ; mais le projet de traité que vous m’envoyez me prouve que nous ne nous entendrons jamais sur ce point, car, ayant des livres à 1 franc par exemplaire, je ne vois pas pourquoi j’en laisserais d’autres à 0 fr. 40 c. N’étant liés l’un à l’autre par aucun écrit je cherche mon plus grand avantage, comme auteur, de même que vous cherchez le vôtre, comme éditeur. Rien de plus naturel.
Comme, d’un autre côté, j’ai un grand désir de ne vous point froisser, vous seriez bien gentil de me dire si vous croyez que l’édition de luxe que je désire faire vous pourrait gêner en quelque chose pour l’écoulement des 1250 volumes qui vous restent en magasin.
Je vous serre bien cordialement la main en vous priant de présenter à Madame Charpentier mes compliments empressés et respectueux.
Guy de Maupassant

1 Des Vers, édité par Charpentier en avril 1880.
2 Cette édition de luxe de Des Vers ne devait paraître qu’en 1884 chez Victor Havard.