Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome I, pp. 52-54, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
Lettre 30
Sommaire chronologiqueSommaire alphabétique

À M. Fontaine1

Ministère de la Marine
et des Colonies
Paris, le 24 septembre 1874.
Monsieur,
Nous venons d’apprendre que mon pauvre grand-père touche à ses derniers moments. Mon père est en ce moment fort souffrant et obligé de garder la chambre, aussi il me charge de m’occuper pour lui de régler toutes ses affaires et je viens vous prier, Monsieur, de bien vouloir nous continuer vos bons soins en cette circonstance.
Nous ne connaissons absolument rien à l’état des affaires de mon grand-père ; il vivait en ces derniers temps avec sa fille, Mme Cord’homme, et d’après les lettres mêmes que mon père a reçues de cette dernière, il semblerait résulter que mon grand-père lui est venu en aide, probablement avec un peu d’argent qui lui serait resté de la vente de son hôtel. Enfin, s’il fallait établir ce fait (chose très difficile) ce ne serait que dans le but d’éviter la réclamation de petites dettes courantes contractées autant par Mme Cord’homme que par mon grand-père et qu’on pourrait essayer de nous faire payer. On m’a dit, d’un autre côté, qu’il avait passé son mobilier sur la tête de sa bonne ; enfin, comme nous pouvons craindre ces choses et que, d’autre part, nous savons certainement que nous n’avons pas une obole à attendre de cette succession, nous désirons nous rendre exactement compte de la situation avant de prendre une détermination quelconque, et mon père acceptera cet héritage sous bénéfice d’inventaire. Ignorant absolument quelles sont les démarches à faire en cette circonstance, je viens vous prier de bien vouloir agir en notre nom dans ce but, lorsque le moment sera venu.
Si, comme on le dit, les meubles sont au nom de sa bonne, il est probable qu’elle fera des difficultés pour laisser apposer les scellés. En ce cas il serait bon, je crois, de constater le refus. Enfin, Monsieur, nous nous en remettons entièrement à votre obligeance et à votre amitié pour prendre en main, encore une fois, nos intérêts en cette circonstance. Nous ne voudrions pas avoir l’air de vouloir sauver peut-être quelques centaines de francs. Il nous serait même désagréable qu’on pût croire que nous agissons dans ce but. Mais nous voulons uniquement voir clair là-dedans et mettre enfin au grand jour une situation obscure pour nous depuis si longtemps.
Veuillez présenter, je vous prie, Monsieur, mes hommages et mes respects à Madame Cullembourg et croire à nos sentiments de profonde estime et de dévouement.
Mille amitiés à Léon de ma part.
Guy de Maupassant

1 Père de Léon Fontaine.