Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome II, pp. 101-102, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Caroline Commanville

1, rue du Redan, Cannes.
28 janvier 1884
[date de la poste].
Chère Madame et amie,
Merci de m’avoir écrit si vite. Il faut laisser M. Du Camp s’enferrer jusqu’au bout1. Le procès, s’il a lieu, permettra de dire au tribunal son avis sur ce monsieur, et de l’écrire dans les journaux. Moi, j’attends. Je lui servirai, dès qu’il me prêtera le flanc, un article soigné et salé, poli et méprisant, qui ne lui laissera plus rien à désirer. Mais j’attends le procès pour ne frapper qu’à coup sûr et juste, au moment nécessaire.
Le procès va faire d’ailleurs beaucoup de bruit autour du volume, et donner à l’apparition du livre l’allure d’une actualité tapageuse.
Yung a coupé les citations des notes et le plan du conte dans mon étude, afin de finir en une fois. Charpentier pourra donc mettre en vente dès qu’il voudra2. Les deux lettres que vous avez de Flaubert à Du Camp achèveront celui-ci3.
Mon père m’écrit que j’ai dû recevoir également du papier timbré. En tout cas il ne m’a pas été envoyé à Cannes. Je viendrai à Paris si cela est nécessaire.
Certes, je me rappelle le banc de Fécamp qui me servait de navire, et le peuplier où je grimpais. Il me semble que je ferais encore le dessin de cet arbre. J’y ai pensé bien souvent. Il y a des images de l’enfance qui restent nettes dans l’esprit plus que tout le reste, et celle-là est peut-être la plus précise que j’aie.
Ces vieux souvenirs sont des liens doux et tenaces. Je suis heureux, chère Madame et amie, que nous en ayons ainsi de communs qui nous rapprochent encore.
Croyez à la bien vive affection de votre ancien camarade.
Guy de Maupassant
qui se rappelle à l’amical souvenir de votre mari.

1 Allusion à la publication des Souvenirs littéraires, de Maxime Du Camp (1882-1883), et aux controverses qu’entraîna cette publication.
2 Il s’agit des Lettres de Flaubert à George Sand, publiées chez Charpentier en 1884. La préface de Maupassant, très désobligeante pour M. Du Camp, parut d’abord dans la Revue bleue (dirigée par Yung). Cf. le texte de Maupassant dans Chroniques littéraires et parisiennes.
3 Cf. Flaubert, Correspondance, Nos 327 et 330. On ne connaît que les minutes, retrouvées dans les papiers de Flaubert.