Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome II, pp. 121-122, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Émile Zola

83, rue Dulong.
23 mars [1884].
Cher Maître et ami,
Arrivé hier à Paris, pour repartir demain, j’ai trouvé cher moi La Joie de vivre. J’ai passé la nuit à la lire et je veux vous dire tout de suite que j’ai trouvé superbe ce roman.
Je n’ose pas dire que ce soit le plus remarquable que vous avez fait, mais c’est celui qui me plaît le plus, qui m’a le plus empoigné.
Ayant souvent vécu chez des gens de la classe et de la nature de ceux que vous racontez, j’ai été saisi par la navrante et constante vérité de leurs caractères. La mère et Lazare m’ont surtout frappé. Ils sont admirablement humains.
J’ai eu d’ailleurs dans ce livre la sensation d’un bain d’humanité. Et ce paysage de la mer, que je connais tant et que j’aime, complétait cette illusion d’une chose que j’aurais vue. C’est vrai à crier, tout cela, et empoignant à faire pleurer. Et comme les deux bêtes sont admirables !
Si je puis disposer d’une minute, et si vous êtes à Paris je vais essayer de vous trouver, pour vous dire tout le plaisir personnel que m’a fait votre roman en dehors même de mon admiration pour cette œuvre si puissante et si exacte.
Voilà si longtemps que je n’ai eu le plaisir de vous serrer la main et de causer avec vous !
Croyez, mon cher Maître et ami, à ma bien vive et reconnaissante affection, et présentez, je vous prie, à Madame Zola mes compliments bien empressés et respectueux.
Guy de Maupassant