Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome II, pp. 179-180, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À sa mère

Rome, 15 avril 1885.
Ma bien chère mère,
Je viens de trouver ta lettre à la poste, et je suis ravi de ce que tu me dis au sujet de Sardou.
J’ai quitté Venise sans regrets, bien que j’aie admiré passionnément les Véronèse et ce merveilleux, cet inimitable plafonnier qu’on nomme Tiepolo, un des plus grands artistes du monde, et le plus gracieux de tous, sans aucun doute.
Je n’ai trouvé aucune Danaé. On voit bien au palais des Doges la copie de la Danaé de Véronèse, dont l’original est à Bruxelles. Il y a eu ici, en effet, une Danaé attribuée au Titien, puis reconnue fausse, et qu’on promène en ce moment par le monde en cherchant à la vendre, le gouvernement italien n’ayant pas mis son veto.
Où était donc la tienne ?
Je trouve Rome horrible. Le Jugement dernier de Michel-Ange a l’air d’une toile de foire, peinte pour une baraque de lutteurs par un charbonnier ignorant, c’est l’avis de Gervex et celui des élèves de l’École de Rome avec qui j’ai dîner hier. Ils ne comprennent pas la légende d’admiration qui entoure cette croûte.
Les Loges de Raphaël sont fort belles, mais peu émouvantes. Saint-Pierre est assurément le plus grand monument de mauvais goût qu’on ait jamais construit. Dans les musées, rien — qu’un admirable Vélasquez. Comme c’est loin de Venise et de Florence comme collection d’art.
Les Thermes de Caracalla ont une grandeur vraiment imposante.
Je pars demain pour Naples d’où je t’écrirai.
Je t’embrasse de tout mon cœur, ma bien chère mère, et je serre cordialement la main d’Hervé.
Ton fils,
Guy de Maupassant