Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome I, pp. 74-76, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Louis Le Poittevin

Paris ce mardi [mars 1875].
Mon cher Louis,
Si je ne t’ai pas répondu plus tôt, c’est que j’ai passé la journée d’hier à consulter notaires et avocats, et maintenant que ces messieurs m’ont répondu — je puis te dire : Ton M. G. est un fripon.
Le susdit Monsieur, après m’avoir dit devant toi qu’il croyait que mon grand-père ne laissait aucune dette a écrit hier à mon père pour réclamer 90 fr. que mon grand-père lui devrait à lui G., plus 140 fr. pour menus frais. Or la succession n’est pas encore acceptée par lui, au nom de mon père. Là-dessus, trouvant que cette conduite était loin d’être claire, j’ai été consulter un avocat et voici ce qu’il m’a répondu :
« L’homme qui a fait cela est un fripon et vous n’avez qu’à annuler immédiatement la procuration qu’il a entre les mains. Il est inconcevable qu’un homme d’affaires, chargé d’accepter une succession sous bénéfice d’inventaire, essaye de se faire payer une dette à lui, avant l’acceptation. Il essaye d’entraîner votre père dans l’acceptation pure et simple. Car si cette dette était payée, M. de Maupassant se trouverait engagé par là à payer toutes les autres qui pourraient se présenter. C’est un acte de friponnerie et d’audace inqualifiable pour un légiste. De plus, un homme d’affaires liquidant une succession, qui vient réclamer une dette sous cette rubrique (90 fr. dus à l’occasion de la vente de la Neuville), sans autre justification, mais il faudrait qu’un héritier fût stupide pour payer une dette aussi peu motivée. Quant aux frais de succession, cela se borne, d’après les lettres mêmes de M. G., à un procès-verbal tenant lieu d’inventaire. Cela ne peut pas coûter plus de 20 à 30 fr. »
Le soir, j’ai été trouver M. Fontaine et lui ai montré les lettres de M. G. M. Fontaine était indigné. Il m’a dit « Cet homme serait un notaire, il y en aurait assez pour le faire casser. Car cette dette payée, M. de Maupassant se trouve forcé de payer tout et il détruit par là les sûretés fournies par le bénéfice d’inventaire. » Il ne comprend rien non plus aux 140 fr. de frais qu’il réclame, et il m’a dit d’écrire de suite, de suite à M. Cullembourg, pour faire annuler la procuration de mon père, ce que j’ai fait, M. Fontaine étant persuadé que M. G. est l’agent des Cord’homme, tant cette manière d’agir lui paraît extraordinaire.
Quand j’ai raconté cela à Robert la Toque, il s’est mis à rire et m’a dit : c’est cela qui ne m’étonne pas. Il y a longtemps que j’avais entendu parler du petit G. comme d’un fripon.
Maintenant au tableau. Je te trouve plaisant ! ! Je te trouve réussi ! ! Je te trouve -------- plaisant. Comment, j’ai ma chambre encombrée d’horreurs. Un sacré caïman1 que j’ai été obligé de suspendre à mon plafond, ne sachant où le mettre et qui fait se foutre de moi toutes les personnes que je reçois, des arêtes de poisson que je suis obligé de mettre sur mon lit le jour et sur un fauteuil la nuit. Et tu viens me menacer de mettre un tableau de Bellangé2 au mont-de-piété, quand tu possèdes une maison entière ! ! ! ! ! ! !
Rouennais ! Rouennais ! Rouennais ! Et nom de dieu de bougre de merdicolère de foutripétant, ne peux-tu le monter dans une chambre supérieure. Je vais brûler ton fusil à rouet, manger ton caïman et faire de l’extrait de Liebig avec l’arête d’espadon.
Or, ouïs ceci :
Cherche un emballeur et dis-moi vite ce que cela peut coûter de faire emballer cette croûte que je prendrai en allant à Étretat.
Mais trouve un emballeur plus honnête que tes hommes d’affaires.
Je te mets subrepticement (.....).
À toi,
Joseph Prunier
Mille compliments à ta femme et à ton beau-père.

1 Voir la lettre à Louis Le Poittevin du 20 février 1875, N° 35.
2 Hippolyte Bellangé (1800-1866), ami de Gustave de Maupassant, dont il fit le portrait.