Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome II, pp. 216-218, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Mme Georges Bizet

[Été 1886.]
Madame,
C’est en Angleterre1 que votre lettre me parvient, après avoir séjourné je ne sais où, peut-être à Paris, peut-être à Chatou, peut-être à Étretat, car j’ai beaucoup vagabondé. Pardonnez-moi donc le retard que j’ai mis à vous répondre. Ma volonté n’y est pour rien.
Je vais, Madame, vous envoyer une première méthode contre la chute des cheveux. Si elle ne réussit pas tout de suite, prévenez-moi et je vous indiquerai un autre système, car les cheveux tombent pour deux causes : premièrement, paralysie du cuir chevelu, provenant de la nature grasse de la peau ; deuxièmement, excès contraire, c’est-à-dire extrême sécheresse des cheveux.
Le premier cas est le plus fréquent. Donc vous laverez la racine des cheveux deux fois par semaine avec de l’eau chaude où vous aurez jeté (quelques minutes avant de vous en servir) dix ou quinze gouttes d’ammoniaque afin de la rendre propre à bien dissoudre le savon. Vous emploierez pour ce lavage du savon de glycérine sans parfum, celui de Rimmel est peut-être le meilleur, puis vous rincerez et frictionnerez la peau avec le mélange suivant : dans un verre d’eau tiède, vous verserez une cuillerée à café de coaltar saponiné de Lebœuf et Bayonne.
Le coaltar, que l’on trouve dans toutes les bonnes pharmacies, doit avoir l’apparence verdâtre et laiteuse, sans aucun dépôt au fond de la bouteille.
Si le liquide est léger et dépose, il est trop vieux.
Mais l’inconvénient de ce système est de mouiller beaucoup la tête, ce qui est désagréable pour les femmes. S’il ne vous va point, je vous indiquerai un autre remède que j’ai vu réussir souvent, mais que je n’ai pas employé.
Il faut toujours essuyer la peau le plus possible et la sécher complètement.
N’employez aucune pommade ni huile, mais de la brillantine, sans jamais en mettre sur la peau, car les corps gras empêchent le fonctionnement, la vie de l’épiderme.
J’espère, Madame, que vous me donnerez des nouvelles de mes beaux malades, dont la santé va m’inquiéter ; et si j’obtiens le succès que j’espère, je demande (en vous promettant de ne jamais en parler), je demande, comme prix de mes soins, quelques-uns de ceux que j’aurai sauvés.
C’est très hardi et très inconvenant ce que je fais là, mais tant pis.
Vous voudrez bien aussi me recommander à vos amies. J’espère que Mme de Richelieu me devra, comme vous, beaucoup de cheveux guéris. Je serais heureux qu’il en fût ainsi.
Je prends des dispositions pour que vos lettres m’arrivent plus vite, en les adressant à Étretat (Seine-Inférieure), où je serai dans quelques jours.
Comme je vous le disais en commençant cette lettre, je suis en Angleterre depuis quinze jours, et j’ai vu défiler dans le manoir Rothschild une quantité de gens illustres, à commencer par le fils du prince de Galles. Mais les hommes m’intéressent peu et les femmes d’ici n’ont point le charme des nôtres ! je veux dire des femmes de France. On prétend qu’elles n’ont de sévère que les apparences. Or, quand on s’en tient aux apparences, et c’est mon cas, on a le droit de les demander plus familières. Mais j’imagine un peu qu’on m’a fait, avant mon arrivée, une réputation terrible, et que je me trouve en présence de places armées en guerre par crainte d’une attaque immédiate et impérieuse de ce Français débauché.
J’ai donc les allures de petit garçon qui tient à rester bien sage et qui doit sembler très timide. Et on parlera, après mon départ, de la pudeur française, comme on parle chez nous, sans y croire, de la pudeur anglaise.
Je passerai par Paris au commencement de la semaine prochaine, où j’espère voir les amies et amis que nous y avons laissés. J’ai reçu hier une lettre de la Comtesse2 qui doit s’ennuyer, car la lettre a deux pages, ce qui est un miracle pour elle. Je me demande si les Macchabées sont morts de vieillesse, ou si les chaleurs de l’été les ont frappés de paralysie, ce qui n’aurait rien d’étonnant3. Ce serait vraiment amusant de les voir tous ne pouvant plus dire : « auo-auo-auo. » Y perdrait-on ? Y gagnerait-on ? Mais je me tais. Vous allez dire que je suis jaloux.
J’ai reçu aussi un mot de Mme Kann, un vrai mot, c’est-à-dire trois lignes, sans aucune nouvelle de sa santé. En savez-vous plus que moi ?
Je compte, Madame, que vous me donnerez des nouvelles de la vôtre, puisque je la soigne.
Je vous baise les mains en me disant votre ami respectueux et très profondément dévoué et en vous priant de présenter mes hommages à la duchesse de Richelieu.
Guy de Maupassant

1 Maupassant avait été invité par lord Rothschild.
2 Comtesse Potocka.
3 Sur le dîner des Macchabées, voir la lettre à la comtesse Potocka (N° 546).