À Henry Cazalis
Mon cher ami,
Vous avez eu l’amabilité de me demander de mes nouvelles et j’ai eu le gros remords de ne vous avoir pas encore répondu. Je ne vais guère. Mon estomac est tout à fait détraqué, mes yeux refusent le service, et ma tête où aucune idée ne s’agite, n’est plus qu’une boîte à migraine. Je vais quitter Alger dans quelques jours ; ou mieux je vais repasser par Alger en allant à Tunis.
Cette ville d’Alger a, comme station d’hiver un grave inconvénient, c’est d’être exposée au Nord, de sorte qu’à trois heures de l’après-midi le soleil a disparu. J’étais obligé, chaque jour, de faire cinq ou six kilomètres pour le retrouver, et cela me rendait enragé. Je viens de faire, sur mes jambes, une superbe excursion dans un pays fauve qui semble un tapis de peaux de lions. J’ai vu un coin d’Algérie très inconnu où j’ai trouvé encore des ravins en des forêts vierges de contes. Ce qui signifie en des forêts vierges, comme celles dont on lit la description dans les contes.
Je pars demain pour la forêt de cèdres de Teniet el Haad dans la chaîne de l’Ouarsenis. On la dit une des plus belles du monde. J’apprends que vous avez vu mon ami Vélain
1 et que vous devez aller ensemble à l’Observatoire. Je ne m’occupe donc plus de cela et je vous envoie seulement une lettre pour mon ami Pouchet
2. Je lis l’histoire des différentes sectes de l’Islamisme chez les Arabes et je trouve des textes admirables chez ces espèces de prophètes qu’on nomme les Kouan. Je vous en montrerai qui vous raviront. Ce sera pour vous tout seul, les autres ne comprendraient pas.
Présentez je vous prie mes compliments respectueux à Madame Cazalis et croyez à ma vive amitié.
Il y a un Kouan qui a dit exactement les mêmes choses que Sainte-Thérèse ! ! ! !
1 Charles Vélain, géographe (1845-1925).
2 Georges Pouchet, médecin (1833-1894).