Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome III, pp. 14-15, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Émile Straus

[Janvier 1888.]
Mon cher ami,
Je reçois une nouvelle lettre d’Ollendorff qui me dit ceci : « Il paraît que le Figaro va plaider qu’en publiant votre préface il entendait vous rendre un service, et que, par conséquent, il était parfaitement autorisé à n’en donner que ce qu’il voulait. »
Je vais d’étonnement en étonnement.
L’étude que j’ai donnée au Figaro n’est point une préface, mais une œuvre de critique contenue dans le même volume qu’une œuvre d’analyse. Elles ont à mes yeux une importance égale.
Mon étude sur le Roman est si peu une préface à Pierre et Jean, que j’ai empêché Ollendorff de se servir de ce mot préface et de l’imprimer. Depuis longtemps je voulais dire mes idées sur mon art, afin de ne plus laisser de prétextes à des méprises et à des erreurs sur mon compte. Pierre et Jean formant un volume très court, j’ai publié mon étude sur le Roman sous la même couverture. J’ai fait paraître Pierre et Jean à la Nouvelle Revue, et mon étude critique au Figaro.
Si j’avais au contraire publié en 1er lieu l’étude critique à la Nouvelle Revue, et en 2e lieu Pierre et Jean au Figaro, aurait-on pu couper la moitié de la nouvelle sous prétexte qu’elle servait uniquement à faire de la réclame à l’étude critique ? Pour le Figaro, tout est réclame, et tout vise à la réclame, et tout se borne à une question d’argent. Cette manière de voir est vraiment bizarre, et simplifie par trop les idées littéraires.
Il est tellement indiscutable qu’il n’y a aucun rapport entre l’étude de mœurs Pierre et Jean, et l’étude littéraire contenue dans le même volume, que j’ai dû, dans la première phrase de la seconde, expliquer comment deux choses si différentes se trouvaient rapprochées, car mes idées sur le Roman comportent la condamnation du roman qui les suit.
Voici cette phrase. « Je n’ai point l’intention de plaider ici sur le petit roman qui suit. Tout au contraire, les idées que je vais essayer de faire comprendre entraîneraient plutôt la critique du genre d’étude psychologique que j’ai entreprise dans Pierre et Jean. Je veux m’occuper du Roman, en général etc. etc. »
En résumé !
J’ai réuni dans un même volume deux œuvres très différentes et même contradictoires. Il n’y a pas de lien entre elles. Selon l’usage, avant de les publier en volume, j’ai désiré les publier l’un dans une revue, l’autre dans un journal. J’ai choisi la Nouvelle Revue et le Figaro. La Nouvelle Revue n’aurait pas eu davantage le droit de modifier le texte de Pierre et Jean que le Figaro n’avait celui de modifier le texte de mon étude sur le Roman contemporain.
Si j’ai choisi le supplément littéraire du Figaro pour cette dernière publication, c’est justement parce que je voulais qu’elle fût faite en une seule fois, qu’elle ne fût pas coupée, qu’elle parût d’un seul coup, le même jour, l’enchaînement des idées développées dans ce travail ne supportant pas d’interruption. Sans cela il m’aurait été bien facile d’en tirer un article de tête, non pour le supplément, mais pour le journal lui-même, ce qui aurait été bien préférable du point de vue réclame invoqué par le Figaro, et alors je n’aurais pas dû attendre huit jours pour que le Supplément fût libre.
Le Supplément m’offrait cet avantage de publier en une fois mon étude complète ; et cette considération m’a décidé.
Je vous écris à la hâte ces quelques pages. Sont-elles claires ?
Bien cordialement,
Guy de Maupassant