Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome III, pp. 16-18, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Émile Straus

Cannes, Villa Continentale
[janvier 1888.]
Mon cher ami,
Les affirmations du Figaro sont insoutenables et j’en ai par chance exceptionnelle un témoignage. Celui de M. Magnard lui-même. Il se trouve que n’ayant pas donné de chose importante au Figaro depuis longtemps, et mes chroniques étant payées un prix fixe de 250 francs, j’ai dit à M. Magnard, lorsque je lui ai parlé pour la première fois de cette préface, que je ne me contenterai plus de 0,75 c. la ligne, prix payé pour Yvette et pour Mlle Perle, mais que je ne donnerais ma préface qu’à 1 fr. la ligne. C’est-à-dire aux conditions du Gil Blas pour mes romans. Les livres de ce dernier journal peuvent faire foi.
M. Magnard m’a répondu de m’adresser à M. Marcade pour régler la question de publication de la Préface, parce qu’il ne voulait pas que le manuscrit passât de ses mains en celles des directeurs du Supplément, pour des raisons d’ordre intérieur, mais que quant à la question de payement, c’était une affaire entendue.
J’ai insisté en disant : « Est-ce la peine de prévenir Périvier de ces nouvelles conditions ? »
Il a répondu : « Non. Je les notifierai au caissier. Cela est sans importance. »
Je dois ajouter que si le Figaro n’avait pas besoin en ce moment de soulever cette question pour les nécessités de sa cause, il ne chercherait point cette chicane, car il paye sans discuter et sans marchander.
Vous me dites, en outre, que « Le Figaro prétend avoir l’habitude de faire des coupures acceptées de tous les auteurs. » Pourquoi ne m’en a-t-il jamais fait ?
J’ajoute : quand j’ai donné Yvette à ce journal, j’ai prévenu M. Magnard que le sujet était vif, mais que je n’admettrais aucun changement, en aucun cas.
M. Magnard m’a dit quelque temps après la publication de cette nouvelle : « J’ai eu un peu peur en donnant votre Yvette. Mais cela a bien passé tout de même et ça a eu du succès. Cependant quelques abonnés ont protesté. Il y avait des passages roides. »
Comment se fait-il qu’on n’ait coupé alors aucun de ces passages, et pourquoi ? Pourquoi ? — c’est qu’on savait fort bien que j’interromprais le lendemain la publication de mon œuvre, et que je ne supporterais pas la suppression d’un mot.
Je dois ajouter que j’ai trouvé en M. Magnard un rédacteur en chef très respectueux de la pensée de ses collaborateurs. Je regrette d’apprendre à mes dépens que le directeur du Supplément ne lui ressemble pas.
Je serai à Paris dans quelques jours pour la très triste affaire que vous savez1.
Je vous serre bien cordialement la main.
Maupassant
Encore un mot. Comment aurais-je choisi le Figaro si j’avais pu prévoir que ma préface serait tronquée, alors que je pouvais la donner intégralement dans n’importe quel journal et n’importe quelle revue ? Comment aurais-je donné ma préface au Figaro si j’avais supposé qu’on eût l’intention de ne pas me la payer, alors qu’elle m’aurait été payée ailleurs le même prix ?
« Pour faire de la réclame au livre », dira-t-on.
Mais avec les 1500 fr. environ que m’aurait rapportés cette préface, j’aurais pu me commander en première page du même journal un excellent article de réclame, comme on sait le faire dans la maison qui est la meilleure sous ce rapport et j’y gagnais.
1. Publicité de 1re page préférable à tout.
2. Publicité de ma préface parue en même temps dans une grande revue.
Pour agir ainsi il aurait fallu être plus ignorant que je ne le suis des usages du journalisme.

1 Maupassant devait consulter des médecins au sujet de son frère.