À sa mère
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Ma bien chère mère,
Depuis mon retour je fais des courses, des démarches et des visites, de sorte que je n’ai pu encore penser au travail. Je compte d’ailleurs aller à Étretat dans quelque temps pour voir si aucune bêtise n’a été faite. Mon procès se trouve retardé indéfiniment et va me créer de nouveaux ennuis. L’avocat du
Figaro, Lachaud, malade depuis quelque temps, vient d’être atteint de paralysie partielle et d’un commencement de ramollissement, dit-on, de sorte que Straus et moi sommes bien embarrassés. Nous allons cependant mettre en demeure
Le Figaro de faire plaider M. Lachaud, ce qui est difficile, ou de choisir un autre avocat. En dehors de cela, rien de neuf. Il fait tiède et il pleut de temps en temps, ce sont des alternatives de boue et de soleil. Je prépare tout doucement mon nouveau roman
1, et je le trouve très difficile, tant il doit avoir de nuances, de choses suggérées et non dites. Il ne sera pas long, d’ailleurs, il faut qu’il passe devant les yeux comme une vision de la vie terrible, tendre et désespérée. Nous sommes en pleine crise de librairie. On n’achète plus de livres. Je crois que les réimpressions à bon marché, les innombrables collections à 40 cent. jetées dans le public tuent le roman. Les librairies n’ont plus en montre et ne vendent plus que ces petits livres propres pour le prix.
Donne-moi des nouvelles le plus que tu pourras, ne fût-ce que par quatre lignes.
... Si tu veux que je t’envoie quelques livres, dis-le-moi, je choisirai les moins embêtants parmi ceux que je reçois. Je sais que tu ne lis que très peu, mais peut-être pourrais-tu en parcourir quelques pages. Cela m’inquiète tellement de te sentir si seule, si tourmentée et si malade, que je cherche sans cesse ce qui pourrait te distraire un peu. Hélas ! ce n’est pas facile à trouver.
Adieu, ma bien chère mère, je t’embrasse bien tendrement.