Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome III, pp. 32-33, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Oscar Méténier

Villa Continentale, Cannes.
25 mars 1888.
Mon cher confrère,
Je vous aurais écrit plus tôt si je n’étais depuis une dizaine de jours en proie à la migraine. J’ai appris avant-hier que votre scénario ne plaisait pas à Raimond Deslandes, qui a dû vous écrire aussi. Cela ne m’étonne qu’à moitié. Je crois qu’on ne peut pas transporter un roman au théâtre comme vous avez tenté de le faire, mais qu’il faut en tirer une pièce, la composer complètement à neuf, d’après la donnée du roman. Comme je vous l’ai déjà écrit, je considère la façon dont le fils Pierre commence à soupçonner sa mère inacceptable à la scène. Il me semble en outre que vous avez omis l’essentiel, c’est-à-dire toutes les scènes du portrait qui peuvent et doivent amener la lumière peu à peu dans l’esprit de Pierre. Enfin, je ne comprends pas comment vous avez pu séparer les scènes entre les deux frères, puis entre la mère et Jean, scènes qui se tiennent et s’enchaînent. Je persiste en outre dans mon opinion sur le dénouement qui ne me paraît pas possible en récit.
Si j’appuie sur tous ces points, c’est que je me suis décidé très difficilement à laisser faire cette pièce et que si je m’expose à un four qui m’atteindrait toujours et atteindrait surtout mon livre, je ne veux pas l’avoir prévu. Je viens donc vous demander, devant le refus de M. Deslandes si vous êtes disposé à modifier entièrement votre scénario dans le sens que je vous indique et si vous avez en outre des négociations entamées avec un théâtre et près d’aboutir.
Vous m’avez écrit en me demandant l’autorisation de faire cette pièce : « Nous venons de lire, mon ami Arthur Byl et moi votre roman Pierre et Jean, et il nous est venu l’idée de tirer de cette étude trois actes intimes destinés cette fois à un théâtre du boulevard et dont pour sommes sûrs dès à présent, absolument sûrs. »
Cette phrase soulignée par vous m’a convaincu, comme tout autre l’aurait été à ma place, que vous aviez traité déjà avec un directeur qui acceptait votre plan et vous avait engagé à m’écrire ? J’ai appris avec étonnement, dans l’entrevue que nous avons eue qu’il n’en était rien. J’ajoute que je n’aurais pas répondu : faites, si rapidement si je n’avais cru la pièce reçue d’avance au théâtre dont vous étiez sûr.
Cette situation aujourd’hui me met dans un certain embarras. Voici pourquoi : M. Ferrari, l’écrivain italien qui a eu le plus de succès au théâtre depuis quinze ans dans sa patrie, me fait demander l’autorisation de tirer une pièce de Pierre et Jean pour l’Italie et me fait une offre. Je ne puis rien répondre. Cela me serait absolument indifférent si les choses en étaient, de votre côté, au point où vous me l’avez annoncé dans votre première lettre. Mais je vois, par la réponse de M. Deslandes que rien n’est fait.
Je vous prie donc, mon cher confrère, de bien vouloir répondre aux deux questions que je vous pose. Voulez-vous modifier votre scénario, qui, tel que vous me l’avez lu, me paraît très dangereux ? Pouvez-vous avoir avec un théâtre du boulevard, un engagement certain, engagement que vous m’avez donné comme assuré, comme fait, dans votre première lettre, ce qui a déterminé ma réponse définitive et immédiate. Les termes que vous avez employés étaient tellement précis que je n’ai pas eu un instant de doute. Je vous ai demandé, quand je vous ai vu, de quel théâtre il s’agissait. Vous m’avez répondu : « Le Vaudeville ». J’ai été ensuite plus que surpris en apprenant que M. Deslandes ne vous connaissait que de nom.
Croyez, mon cher confrère, à mes sentiments les plus dévoués.
Guy de Maupassant