Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome III, pp. 57-58, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Mme Émile Straus

Aix-les-Bains
[octobre 1888].
Madame,
Je rentre à Paris samedi ou dimanche, j’aurai donc bientôt le plaisir de vous revoir, mais, hélas ! ce ne sera pas pour longtemps. Le long séjour que j’ai fait en cette ville au printemps a exaspéré mes migraines, dont je n’ai pu me débarrasser depuis. Je suis demeuré durant tout l’été dans un état de souffrance qui m’a empêché de me livrer au moindre travail et qui me rend, en outre, la vie intolérable. Après une saison tardive à Aix, je vais me sauver en Afrique, où je chercherai un gîte chaud et tranquille. II se peut même que j’y reste, si je m’y trouve bien.
Ce sont donc presque des adieux que je vais faire à mes amis. Cela m’attriste ; mais je dois m’y résigner, car je reconnais de plus en plus que je ne suis pas fait pour l’existence de Paris.
Je pense que je repartirai le jeudi suivant pour prendre à Marseille le bateau du vendredi.
J’espère, Madame, que vous voudrez bien m’écrire de temps en temps et me donner quelques nouvelles. Je ne pourrai, en échange des anecdotes et des piquantes aventures que vous me direz, que vous révéler les mouvements du thermomètre, vous raconter des physionomies de chameaux ou d’autruches et vous décrire, comme chronique secrète, la danse d’une Ouled-Naïl dans un café maure.
J’espère bien cependant revenir un peu au printemps et passer à Paris un mois ou six semaines. Cette résolution de départ doit vous paraître bien étrange, à vous, Madame, qui aimez le monde ou du moins qui supportez avec une résignation souriante et assurément aussi avec un certain agrément, les gens et ce qu’ils disent. Quant à moi, j’habiterais bien volontiers Paris pendant quatre mois chaque hiver si je pouvais n’y rencontrer qu’une douzaine de personnes au plus. Mais les autres m’empêchent de m’attacher assez à celles-là pour ne plus les quitter. Il est probable aussi que cette hypocondrie invincible vienne des névralgies.
Donc, Madame, j’aurai dans quelques jours le plaisir de vous revoir et le chagrin de vous faire mes adieux pour plusieurs mois. Laissez-moi, en attendant, baiser vos mains avec respects et faites mes compliments affectueux à votre mari.
Maupassant