Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome I, pp. 100-102, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Gustave Flaubert

Paris, le 17 novembre 1876.
Je voulais attendre pour vous écrire, mon cher Maître, que j’eusse quelque chose d’à peu près certain du côté de La Nation, car j’ai d’abord été plein d’espérance, puis de désespoir, et depuis ce matin je recommence à espérer.
Voici les faits :
Aussitôt en possession de votre lettre1, j’ai été me présenter chez M. Raoul Duval, qui m’a reçu avec une bienveillance extrême et m’a dit ceci : — « Nous n’avons point encore de chroniqueur littéraire, faites-moi tout de suite un article d’actualité sur un livre nouveau ; je le ferai passer. Vous m’en donnerez un second quinze jours après environ, je le ferai insérer également ; puis je demanderai au conseil d’administration de compléter la rédaction du journal en vous prenant comme critique littéraire. Vous pouvez être certain que je ferai pour cela tout ce que je pourrai parce que vous m’êtes chaleureusement recommandé par mes meilleurs amis, G. Flaubert et les Lapierre. »
Là-dessus, je m’en vais enchanté, j’achète la correspondance de Balzac et je prépare mon article, puisqu’il ne fallait qu’une actualité.
Mais j’apprends, au bout de quelques jours, que La Nation publie des feuilletons littéraires signés par M. Filon, l’ex-précepteur du Prince impérial. Et un de ses amis m’affirme qu’il doit garder la critique des livres.
Je termine néanmoins mon article et je l’ai porté hier chez M. Raoul Duval, que j’ai été voir ce matin. Il a été toujours aussi aimable, m’a fait beaucoup de compliments sur mon étude qui va passer immédiatement. Mais j’ai compris que je ne serais pas titulaire de la critique littéraire. La place a été prise probablement par M. Filon. Je crois que je vais remplacer un chroniqueur léger qu’on trouve trop bête, et qu’on me laissera toute latitude sur le choix de mes articles. Dans tous les cas, M. Raoul Duval paraît bien décidé à m’attacher à la rédaction de son journal. Je l’en ai vivement remercié, mais c’est à vous surtout, mon bien cher Maître, que doivent aller tous mes remerciements.
Je vous enverrai le numéro où mon article sur les lettres de Balzac paraîtra, et je vous tiendrai au courant des événements qui surviendront.
Je fais en ce moment, malgré les idées de Zola sur le théâtre naturaliste, un drame historique. Corsé ! ! !2
Mon cœur va bien. Ma foi, vive les homéopathes ! Love fait de mon cœur ce qu’il veut, l’accélère ou le ralentit quand il lui plaît. Il m’était revenu des herpès, et, sans lotions extérieures, je les ai fait passer avec 12 granules dans une bouteille d’eau, et cela en trois jours, ce qui ne m’était jamais arrivé.
A bientôt, mon cher Maître, je vous embrasse en vous serrant les mains. Renouvelez à Madame Commanville l’assurance de mes sentiments bien dévoués et respectueux et rappelez-moi au bon souvenir de son mari.
Tout à vous,
Guy de Maupassant
Revenez vite, car vous me manquez beaucoup. C’est aussi ce que me disait Zola jeudi dernier3.

1 Cf. Flaubert, Correspondance (éd. Conard, tome VII, 1930, N° 1614).
2 La Princesse de Béthune.
3 Cf. Flaubert, Correspondance (éd. Conard, tome VII, 1930, N° 1627).