Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome III, pp. 147-149, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À sa mère

20 mai 1890.
Ma bien chère mère,
Je t’écrirai encore une bien courte lettre car mes yeux sont tout à fait repris. J’ai dû cesser complètement ce traitement de Bouchard qui mettait mes nerfs dans un état intolérable et, par là, attaquait la vue. Je ne sais plus à qui m’adresser. Mon ami Grancher me donne quelques conseils. Il m’ordonne avant tout Plombières (Bouchard aussi d’ailleurs) et la montagne, dans un pays chaud. Mon déménagement en juillet me paralyse. Je vais aller te voir dans quelques jours, mais je suis désolé de te trouver encore à Cannes. Je ne pourrai même pas faire ainsi l’expérience de Nice. Il faut que je sois de retour pour la mise en vente de mon livre1 vers le 18 juin. Je partirai vers le 6 de ce mois quand mes épreuves seront corrigées. Mon déménagement aura lieu le 3 juillet ; et tous mes ordres donnés et mes dispositions prises, je partirai pour Plombières vers le 20 ou le 25. J’irai ensuite sans doute compléter le traitement dans les Pyrénées. Puis je retournerai te voir en octobre avant de rentrer à Paris pour l’hiver. Il n’y a donc que mon voyage en Espagne changé dans mes projets. Mon roman s’annonce comme un succès dans la Revue des Deux Mondes. Il étonne par la nouveauté du genre et j’en augure bien. La Comédie Française me fait demander l’Histoire du Vieux Temps. Je vais répondre oui, bien entendu. J’aurais besoin de quitter à peine cette ville. Les hommes dans ma situation perdent tout en ne vivant pas à Paris, car tout se fait par des habiletés incessentes (sic) que la moindre interruption annule. La nécessité où je me trouve d’aller à Plombières et ensuite à la montagne va compromettre quelques-uns de mes projets.
J’ai promis à Koninck, directeur du Gymnase, de refaire la pièce que Normand a tirée de mon conte L’Enfant2. Koninck, qui est le plus adroit des directeurs de Paris, croit à un gros succès de cette pièce pour l’hiver prochain, quand je l’aurai modifiée comme nous en sommes convenus.
Mon nouvel appartement sera fort joli, avec un seul inconvénient : le cabinet de toilette trop petit et mal disposé. Mais je dois donner comme chambre à François la jolie pièce qui m’aurait servi de cabinet de toilette, afin de l’avoir près de moi la nuit, car on m’ordonne des ventouses sèches le long de la colonne vertébrale dans toutes les insomnies accompagnées de cauchemar. Cela calme instantanément. Et c’est si léger qu’on peut recommencer le lendemain. En réalité, j’ai un rhumatisme normand, augmenté et complet (sic) partout et qui paralyse toutes les fonctions. Le mécanisme de mon œil suit tous les états de mon estomac et de mon intestin. Plombières, en ce cas, est le seul remède connu.
Adieu, ma bien chère mère. Pendant les quelques jours que je vais passer à Cannes, je tâcherai de te dénicher une installation car je vois que tu ne t’y décideras jamais toute seule.
Je t’embrasse mille fois de tout mon cœur. J’embrasse Simone si elle est encore près de toi. Mille choses affectueuses à Marie-Thérèse.
Ton fils,
Guy

1 Notre Cœur.
2 Musotte.