Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome III, pp. 169-171, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
Lettre précédente : 635 Lettre 636 — Lettre suivante : 640
Sommaire chronologiqueSommaire alphabétique

À sa mère

Plombières, 5 août 1890.
Ma bien chère mère,
J’ai bien peu de chose à te dire, et je vais seulement te donner de mes nouvelles. Elles sont bonnes ; elles seraient meilleures sans l’humidité de cet air qui entretient mes névralgies de la nuque et des yeux. Le médecin le reconnaît ; croit que j’ai attrapé ce genre de névralgie du cou à Cannes cet hiver, car elles y sont fréquentes ; mais devant les résultats excellents de Plombières sur mon estomac et sur la santé générale, il est convaincu que le résultat consécutif du traitement sera parfait quand j’irai le chercher dans un climat plus sec. Il m’interdit absolument la Méditerranée en ce moment, car il croit que j’ai avant tout une maladie nerveuse. J’irai donc sans doute dans les Pyrénées, à moins que je ne finisse tout simplement mon été à Paris où j’ai, dans mon logis sec et clair tout ce dont j’ai besoin pour ma santé.
J’ai reçu une lettre de M. Seren, contenant en effet des réticences, des graines de difficultés. Je lui ai répondu d’une façon nette et ferme. J’ai écrit de la même façon à Mme de Maëyer, en leur disant, que si leur réponse ne m’est pas favorable, j’allais partir pour Biarritz que je préfère à Nice, car cette station est fréquentée toute l’année. J’ajoute qu’on m’y propose une maison très avantageuse. Je conclus en offrant une petite somme pour la prévision plus forte des travaux à faire.
J’ai une peur terrible que ta persistance à rester à Nice tout l’été n’amène encore dans ta santé des accidents déplorables. Je quitterai Plombières vers le milieu de la semaine prochaine, mais je te le ferai savoir.
A-t-on loué les Roseaux ? Les Picards ont-ils payé ? Surtout préviens-moi un peu à l’avance quand tu auras besoin d’argent car je n’emporte pas de grosses sommes avec moi.
Je vais t’envoyer encore un tas de journaux ; mais cela ne sert plus à grand chose la vente ne marche presque pas malgré le gros succès de ce livre. Cela tient à ce que la Revue des Deux Mondes m’a enlevé comme acheteurs tous les gens du monde de Paris, et en Province dans toutes les villes, le monde officiel, le monde des professeurs et des magistrats. Soit, de l’avis d’Ollendorff et des commissionnaires en librairie, 25 à 30 mille acheteurs au moins. Ça a eu d’autres résultats avantageux comme pénétration en des publics différents. Mais c’est une perte. Je viens de retoucher, même de refaire toute ma petite pièce en un acte — autrefois en deux actes sous le titre : La Paix du Foyer1. Je la crois maintenant parfaite et je ne doute pas du succès quand je trouverai une occasion très favorable de la faire jouer. J’ai pris comme titre une réplique de la femme. Le voici :
Un Duel au Canif
C’est en effet un duel au canif entre elle et son mari. C’est en parlant de lui seul qu’elle emploie ce mot bien entendu ; mais le public l’applique aux deux.
Adieu, ma bien chère mère, je t’embrasse mille fois de tout mon cœur. J’embrasse Simone, si elle est près de toi, et j’envoie tous mes compliments affectueux à Marie-Thérèse.
Ton fils,
Guy
Il y a dix ans que j’aurais dû venir ici.

1 Titre définitif : La Paix du Ménage.