Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome III, pp. 311-312, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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De Laure de Maupassant
à Me Jacob

Villa des Ravenelles.
140, rue de France, Nice.
le 7 novembre 1892.
Monsieur,
Vous avez mis tant de bonne grâce à me proposer votre appui, pour tout ce qui concerne ma chère petite-fille, que je ne veux vous faire attendre ni ma réponse, ni mes remerciements.
Il n’y a rien à faire d’ailleurs quant à présent, et je tiens beaucoup à ce que nulle concession ne soit demandée à ma belle-fille, dont je connais le mauvais vouloir. Je préfère aussi ne pas revoir l’enfant maintenant ; j’ai trop souffert, la secousse serait au-dessus de mes forces. J’ai une maladie de cœur, et je vis sous la menace continuelle d’un accident mortel. Comment n’ai je point encore succombé ? C’est presque un miracle. Dans ces circonstances, je ne pourrais même donner à ma petite Simone tous les soins dont elle a besoin, et je serais obligée de la confier à une bonne, ce que je ne veux à aucun prix. Laissons donc les choses comme elles sont, avec toute leur tristesse.
Votre pupille est fine et jolie, toute pleine de malice et de gaieté. C’est une charmante petite nature qu’il faudrait comprendre et développer avec soin ; mais elle se trouvera dans un triste milieu, et je ne puis songer à l’avenir de cette enfant si chère sans me sentir envahie par toutes les appréhensions.
J’ai écrit à M. Lavareille, et j’ai insisté vivement sur la nécessité de retirer les œuvres de Guy des mains de l’éditeur Havard. Je partage absolument votre manière d’envisager les choses, et d’ailleurs M. Lavareille m’avait déjà, il y a quelques semaines, fait part de son intention d’agir dans ce sens. Si la pièce du pauvre auteur est jouée au Théâtre Français, comme tout le fait espérer, ce sera l’occasion de profiter de la curiosité réveillée pour présenter au public des éditions nouvelles de ses livres les plus aimés.
J’ai fait tout ce que l’on m’a demandé, à propos de cette petite comédie. J’ai écrit des lettres, j’ai donné mon assentiment plein et entier... Mais que de côtés douloureux dans cette question ! Nous allons livrer aux journaux, aux amis comme aux ennemis, le nom du malheureux garçon, autrefois si acclamé... Que va-t-il sortir de tout cela ? Quelles pénibles choses ne remuera-t-on pas ?
Enfin, il le fallait, et je n’ai point hésité ; j’aurais plutôt signé des deux mains. J’attends bien impatiemment la prochaine lettre de M. Ollendorff, qui déploie en cette délicate affaire autant de dévouement que d’intelligence.
Dans ma profonde tristesse, j’éprouve encore une sorte de joie en voyant combien d’amis fidèles se groupent autour de mon pauvre cher Guy. Vous êtes au premier rang, Monsieur, et je ne l’oublierai jamais.
Agréez, je vous prie, la vive expression de mes sentiments les meilleurs et les plus distingués.
Laure de Maupassant