Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome III, pp. 317-318, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
Lettre précédente : 792 Mme Hervé de Maupassant
Lettre 800
— Lettre suivante : 801
Lettre précédente : 799 Me Jacob
Lettre 800
— Lettre suivante : 801
Sommaire chronologiqueSommaire alphabétique

De Marie-Thérèse de Maupassant
à Me Jacob

Villa Simone, 3 décembre 1893.
Cher Monsieur,
J’ai lu avec grande attention votre réponse et malgré tout je ne puis pas me persuader que le tribunal ne prendrait pas en considération les diverses clauses contradictoires du testament de mon beau-frère. Celui-ci, en effet, avait l’intention formelle de laisser sa fortune à Simone qu’il aimait beaucoup et qui était sa nièce et sa filleule. Son désir est clair, il était persuadé qu’il laissait une fortune bien supérieure à celle qui existe et il ajoute, après le paragraphe où il vous charge de fournir une pension pour élever l’enfant : « Le surplus de ces revenus sera capitalisé et compris dans le compte que mon exécuteur testamentaire rendra à ma nièce », etc. Croyez-vous vraiment que le tribunal puisse laisser aliéner le bien d’une mineure parce qu’une phrase d’un testament est en contradiction avec tout le reste ? Et puis quand Guy a fait son testament, j’habitais avec sa mère, nous étions à sa charge... pas tout à fait, il lui donnait 1200 fr. par an pour nous garder.
Il a voulu par la pension de 10 000 fr. continuer ce qu’il faisait de son vivant et assurer notre vie auprès de sa mère ainsi que la facilité pour celle-ci de faire élever sa petite-fille. La situation a changé, nous ne sommes plus à sa charge et le tribunal n’a pas à s’occuper si le grand-père fait quelque chose pour sa petite-fille ; il n’a qu’à voir que la mère est sans fortune, que l’enfant n’a rien et qu’il n’est pas juste que la grand-mère mange son bien quand, elle [Simone], peut manquer de tout.
Je n’entre pas dans plus de détails, je n’ai pas le temps. J’ai écrit à M. Pollet, qui me demandait mon avis ; je le prie de vous voir. Je vous fais la même prière, car il est de mon devoir de tutrice de tout faire pour empêcher l’aliénation du bien de ma fille. Le conseil de famille s’est élevé contre cette vente insensée qui ruinera l’enfant ; on le réunira encore s’il le faut. L’œuvre littéraire sur laquelle vous comptez peut ne plus rien fournir dans un an1 et alors je serai forcée de subir ce que je n’aurai pas empêché par tous les moyens en mon pouvoir. Je suis bien persuadée, cher Monsieur, que vous faites pour le mieux dans cette affaire, mais je crains que vous hésitiez à demander au tribunal une chose plus que juste et que vous vous trompiez sur ce que peuvent rendre les livres. Si je vous écris de nouveau, c’est que je le crois de mon devoir. Après vous être entendu avec M. Pollet, je n’aurai qu’à accepter ce que vous aurez décidé. Ah ! si nous avions pu causer une heure, je vous aurais bien convaincu.
Mettez que mon beau-père désire vivre seul et qu’il ne fasse plus rien pour nous ? Voyez-vous Simone manquant de tout pendant que sa grand-mère mangerait tranquillement la fortune de cette enfant ? Tout peut arriver, surtout de voir une pauvre innocente ruinée par une femme sans cœur.
Veuillez croire, Monsieur, à mes meilleurs sentiments.
M.-T. de Maupassant

1 Est-il nécessaire de souligner à quel point la belle-sœur de Guy de Maupassant se trompait ? L’œuvre de l’écrivain, pendant plus d’un demi-siècle, rapporta des sommes considérables aux héritiers.