Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome I, pp. 153-154, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Gustave Flaubert

Ministère de la Marine
et des Colonies
Paris, 11 mars 1878.
Mon cher Maître,
J’ai été voir, hier soir, Suzanne Lagier. Elle m’a fait subir un véritable interrogatoire à votre sujet — « Était-il vrai que vous connussiez M. Bardoux ?... que vous fussiez son ami intime etc., etc. — » Je ne lui ai dit que ce que chacun sait et ce dont elle était déjà informée, et j’ai tâché de savoir pourquoi elle m’adressait tant de questions. J’ai cru comprendre qu’elle avait formé le projet d’aller vous trouver pour une multitude de demandes qui m’ont paru plus folles les unes que les autres. Comme il se peut qu’elle vous fasse cette visite avant dimanche j’ai voulu vous avertir immédiatement. Elle a, je crois, la prétention d’entrer à la Comédie-Française ! ! ! ! ! !
Elle veut être invitée chez Charpentier ! ! !
Et enfin elle cherche une recommandation puissante pour un jeune homme, un chanteur de l’Opéra-Comique. Je serais bien étonné si ce n’était pas son nouvel amant pour qui elle veut quitter Duplay.
Ce garçon était marié elle lui a fait lâcher sa femme dont il a 3 enfants... et ils s’aiment...
Ce ne peut être qu’un imbécile.
Elle m’a parlé d’amour vrai, de tendresses du cœur... — Elle devient tout à fait élégiaque et sentimentale ; — elle a ce qu’on pourrait appeler un ramollissement du con1.
Je l’ai fortement engueulée.
Enfin vous voici prévenu ; car je serais bien étonné si elle n’allait pas chez vous très prochainement.
Je vous embrasse, mon cher Maître, en vous serrant bien fort les mains.
Guy de Maupassant

1 Cette dernière phrase a été rayée par une main étrangère.