Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome I, pp. 167-168, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur. La lettre a été présentée lors d’une vente aux enchères le 29 juin 2021.
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Pages 2 et 3

À Émile Zola

Ministère de la Marine
et des Colonies
Paris, le 10 juillet 1878.
Mon cher Maître,
Le bateau est acheté1, tiré à terre, et presque entièrement repeint. J’ai surveillé moi-même toutes ces opérations pour l’examiner encore tout à fait hors de l’eau. Il est, à mon avis, fort bon. Le nom NANA est écrit des deux côtés à l’arrière, parce que le bateau, comme tous les chasse-canard, est pointu par les deux bouts.
La question du transport a été grosse de difficultés. J’ai pensé d’abord aux chalands, mais le constructeur m’en a détourné, parce que les mariniers démolissent la moitié des embarcations qu’on leur confie. De plus, elles restent exposées sur le pont, au grand soleil, hors de l’eau, pendant deux jours au moins que dure le voyage. Et cela suffit, par les chaleurs que nous traversons, pour fendre d’un bout à l’autre, un ou deux clins.
J’ai cherché un pêcheur pour le conduire. On m’a demandé 20 francs, ce qui m’a paru exagéré.
Alors voici à quoi je me suis arrêté.
Comme le trajet est long (49 k.), je ne veux pas l’entreprendre seul avec un bateau autre qu’une yole. Mais à deux rameurs, il est facile. Je prends donc mon camarade qui canote avec moi ; et comme il n’est peut-être pas assez fort pour aller jusqu’au bout sans fatigue, j’ai retenu Hennique qui pourra le relayer une heure de temps en temps. Moi, j’irai bien et sans mal.
Nous partirons donc dimanche matin à 3 heures et demie de Bezons, nous déjeunerons à Conflans, où je laisserai souffler mes hommes pendant deux heures, et nous serons à Médan vers 4 ou 5 heures. Si vous êtes au bord de l’eau, vous nous verrez arriver. Nous reprendrons à Triel le train qui nous descendra à Houilles, près de Bezons. De cette façon, ce voyage n’est nullement une fatigue, mais un plaisir, et nous serons rentrés de bonne heure, tout comme si nous nous étions promenés à Bougival. De plus, je suis certain que Nana vous arrivera en bon état, sans avarie d’aucune sorte.
Ainsi donc, à dimanche, mon cher Maître ; je vous serre les mains en attendant, et je vous prie de présenter à Madame Zola mes compliments respectueux.
Guy de Maupassant

1 Cf. ci-dessus la lettre à Zola du 2 juillet 1878.