Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome I, pp. 169-170, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Gustave Flaubert

Ministère de la Marine
et des Colonies
Paris, ce 3 août 1878.
Mon cher Maître,
Je viens de voir notre amie Suzanne Lagier qui m’a supplié de vous écrire tout de suite pour obtenir de vous un fort coup d’épaule auprès de Zola. Elle a été à l’Ambigu, on lui a parlé du rôle de Gervaise dans L’Assommoir et elle meurt d’envie de le jouer. Elle affirme, elle jure qu’elle en fera sa plus belle création, qu’elle étonnera Paris (ce qui est possible), et que personne ne jouerait ce rôle comme elle (ce que je crois).
Elle m’a montré qu’elle était énormément maigrie de partout (c’est vrai, et m’a affirmé qu’à la scène elle aurait vingt ans1). Elle est tellement emballée qu’il est possible qu’elle réussisse fort bien. Dans tous les cas, à mon avis, elle vaudrait infiniment mieux que la chanteuse Judic.
Qu’en pensez-vous ?
Je suis en ce moment en grande correspondance avec Mme Brainne, qui prend les eaux de Plombières. Elle m’envoie des encouragements, des exhortations à la patience et à la gaieté. Malheureusement, je n’en profite guère. Je ne comprends plus qu’un mot de la langue française, parce qu’il exprime le changement, la transformation éternelle des meilleures choses et la désillusion avec énergie, c’est : merde.
Le cul des femmes est monotone comme l’esprit des hommes. Je trouve que les événements ne sont pas variés, que les vices sont bien mesquins, et qu’il n’y a pas assez de tournures de phrases.
Je vous serre les mains et je vous embrasse, mon cher Maître.
Donnez-moi des nouvelles de Bouvard et Pécuchet.
Guy de Maupassant2

1 Née en 1833, Suzanne Lagier avait alors 45 ans ; elle n’obtint pas le rôle de Gervaise qui fut confié à Hélène Petit.
2 Cf. Flaubert, Correspondance (éd. Conard, tome VIII, N° 1746 : « La commission de Lagier est faite... Vous vous plaignez du cul des femmes qui est « monotone ». Il y a un remède bien simple, c’est de ne pas vous en servir... etc. »).