Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome I, p. 33, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À sa mère

24 septembre 1873.
Tu vois que je ne tarde pas à t’écrire, mais en vérité je ne puis attendre plus longtemps. Je me trouve si perdu, si isolé, et si démoralisé que je suis obligé de venir te demander quelques bonnes pages. J’ai peur de l’hiver qui vient, je me sens seul, et mes longues soirées de solitude sont quelquefois terribles. J’éprouve souvent, quand je me trouve seul devant ma table avec ma triste lampe qui brûle devant moi, des moments de détresse si complets que je ne sais plus à qui me jeter. Et je me disais souvent dans ces moments-là, l’hiver dernier, que tu devais avoir aussi d’affreuses tristesses pendant les longues et froides soirées de décembre et de janvier. J’ai repris ma vie monotone, en voici pour 3 mois. L. F.1 ne peut pas dîner avec moi ce soir ; il dîne en ville, cela m’ennuie, nous aurions pu causer un peu ensemble... J’ai écrit tout à l’heure, pour me distraire un peu, quelque chose dans le genre des Contes du Lundi. Je te l’envoie, cela n’a naturellement aucune prétention, puisque je l’ai écrit en un quart d’heure. Je te prierai cependant de me le renvoyer, parce que je pourrai en faire quelque chose. Il y a plusieurs phrases peu correctes, mais je corrigerai cela quand je m’en servirai. Je voudrais bien me trouver reporté quinze jours en arrière, c’est décidément bien court, on n’a pas le temps de se voir et de causer, et une fois la vacance finie, on se dit : « Mais comment cela s’est-il fait ? Je suis à peine arrivé, je n’ai encore causé avec personne. »
Adieu, ma chère mère, je t’embrasse mille et mille fois ainsi qu’Hervé.
Ton fils,
Guy de Maupassant

1 Léon Fontaine.