Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome I, pp. 149-150, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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De Laure de Maupassant
à Gustave Flaubert

Pavillon des Verguies,
le 23 janvier 1878.
Puisque tu appelles Guy ton fils adoptif, tu me pardonneras, mon cher Gustave, si je viens tout naturellement te parler de ce garçon. La déclaration de tendresse que tu lui as faite devant moi m’a été si douce que je l’ai prise au pied de la lettre, et que je m’imagine à présent qu’elle t’impose des devoirs quasi paternels. Je sais d’ailleurs que tu es au courant des choses, et que le pauvre employé de ministère t’a déjà fait toutes ses doléances. Tu t’es montré excellent, comme toujours, tu l’as consolé, encouragé, et il espère aujourd’hui, grâce à tes bonnes paroles, que l’heure est proche où il pourra quitter sa prison et dire adieu à l’aimable chef qui en garde la porte.
Si tu peux, mon cher vieil ami, faire quelque chose pour l’avenir de Guy, et lui procurer une position à sa convenance, tu seras mille fois béni, mille fois remercié ; mais il n’est pas besoin que j’insiste près de toi, puisque je suis sûre d’avance que la mère et le fils peuvent compter sur ton appui. Si j’étais moins loin de Paris, je serais allée tout simplement frapper à ta porte, un soir après dîner ; j’aurais réclamé une petite place au coin de ton feu, et nous serions restés longtemps à causer ensemble, comme des compagnons d’enfance qui se retrouvent avec plaisir, et qui s’aiment toujours, en dépit des longues séparations. Mais je suis ici, à Étretat, tout engourdie par les influences narcotiques de l’hiver, du silence et de la solitude.
Je ne sais encore à quelle époque je pourrai aller à Paris ; cependant je crois que j’attendrai le mois de mai, afin de voir l’exposition universelle. J’espère que tu ne seras pas parti pour la Normandie, et que je te trouverai encore faubourg St-Honoré. Ma première visite sera pour toi et pour la chère Caroline, dont je n’entends pas parler assez souvent. Fais lui tous mes compliments, je t’en prie, et ne crains pas d’ajouter que mon affection pour elle a quelque chose de maternel. J’ai si bien connu, j’ai tant aimé ta sœur.
Dis-moi, mon bon Gustave, est-ce que tu ne veux plus venir à Étretat ? Tâche donc de t’entendre avec Guy, et de me donner quelques jours, lorsqu’il viendra revoir son cher pays. Je t’adresserai bientôt ma requête de vive voix, et je serai bien maladroite si je n’obtiens pas une bonne et sérieuse promesse.
Adieu mon ami, mon vieux camarade, je t’embrasse de tout mon cœur.
Laure