François Tassart : Nouveaux souvenirs intimes sur Guy de Maupassant, texte établi, annoté et présenté par Pierre Cogny, Nizet, 1962, pp. 1-5.
Introduction Préface

INTRODUCTION

Le texte que nous présentons ici ne nous aura pas demandé beaucoup de peine, tant son auteur avait pris de soin en vue d’une édition dont il ne doutait pas. Lui-même avait établi la table des matières, lui-même avait choisi les titres de chapitres, lui-même avait effectué, à la main, quelques corrections sur ces feuilles qu’il avait fait dactylographier pour l’imprimeur. Il est vraisemblable que la mort le prit trop tôt pour qu’il ait eu le temps de mettre son projet à exécution. Il faut noter également que, selon toute probabilité, il s’écoula un certain délai entre les diverses parties de ce livre, si l’on en juge par les additions autographes qui, toutes, ont une justification : il s’agit en effet de noms propres primitivement désignés par de simples initiales, et restitués parce que ceux qui les portaient venaient de disparaître. Il n’est pas exceptionnel, au reste, que certaines graphies soient douteuses, et c’est ainsi que nous avons eu quelque peine à retrouver la véritable identité du Prince d’Esling, duc de Rivoli, appelé d’abord prince de B..., puis Prince de Desling (sic). Certaines recherches étaient plus délicates et nous ne sommes pas toujours parvenu à des solutions satisfaisantes. L’exemple précité nous prouvant que la lettre initiale donnée seule ne désignait pas nécessairement un nom commençant par cette initiale, les hypothèses étaient hasardeuses et nous les avons, à ce titre, écartées.
Restait la datation des divers récits qui figurent dans ces souvenirs : ici encore, il fallait procéder avec prudence, car François a rédigé certaines pages assez tôt après les événements qui y sont relatés pour que la marge d’erreur soit relativement mince, mais d’autres ont été écrites près de vingt-cinq ans après la mort de Maupassant, donc, par un vieillard, dont la mémoire pouvait être quelque peu sujette à caution. Sa bonne foi, sans doute, n’a pas à être mise en cause, mais il lui arrive de confondre un séjour à Cannes avec un autre de quelques mois postérieur ou antérieur. Il serait donc très dangereux de le prendre pour guide dans un essai de biographie de Maupassant, dont la vie, au demeurant, nous est fort mal et très fragmentairement connue.
Ce qui donnerait, peut-être, un caractère d’authenticité valable à ces mémoires, c’est ce que nous appellerons leur spontanéité gratuite. Écrits sur la commande d’un éditeur désireux de voir se renouveler un succès comme le premier volume, paru en 1911, ils eussent été un peu suspects. S’il en avait été ainsi, c’est François lui-même qui les eût publiés, ou, à tout le moins, ses héritiers, en exécution posthume du contrat1.
Nous avons voulu respecter strictement l’œuvre de François, malgré ses maladresses. Il eût parfois suffi d’un discret coup de main pour que telle phrase fût mieux équilibrée, telle remarque moins naïve : nous nous y sommes refusé, estimant que ce n’était pas notre tâche. En revanche, nous avons supprimé délibérément un long récit, L’Armoire aux Confitures, verbeux et de petit talent, qui n’avait aucun rapport avec Maupassant, et, quand François avait cru bon de faire étalage de son érudition littéraire en citant des passages un peu bien en hors-d’œuvre de ses écrivains favoris, nous nous sommes permis de couper, en avertissant le lecteur de cette mutilation qui ressortissait à la chirurgie esthétique.
Enfin, dans des notes que nous avons souhaitées le moins encombrantes possible, nous nous sommes efforcé d’éclairer quelques points obscurs, ou, au moins, de poser le problème : à l’avance, nous exprimons notre gratitude la plus vive aux érudits qui nous communiqueraient la solution pour une éventuelle réédition.
En remontant jusqu’aux sources auxquelles avait puisé François, nous avons pu constater que, d’ordinaire, il n’avait pas déformé, que ses citations étaient exactes, et que ses références avaient été contrôlées. Nous sommes très loin d’un travail d’érudition, mais il y a un souci certain de précision, ce qui permet de bien augurer du reste. Cette documentation s’étend sur un grand nombre d’années et prouve que François ne laissait pas échapper grand-chose de ce qui concernait son maître : ainsi, il avait conservé l’amusant article de Maupassant sur son voyage en ballon de juillet 1887, De Paris à Heyst, dans le Figaro du 16 juillet 1887 (en omettant de citer un autre article, En l’air, publié dans le même journal, le 9 juill.), l’article de Paul Alexis, Quelques souvenirs sur Maupassant, dans le Journal du 8 juillet 1893, ne lui a pas échappé, et il a su, également, trouver les ouvrages plus généraux où il était question de Maupassant, comme La galerie des bustes de Roujon, Paris, Hachette, 1909 ou les Souvenirs de Gervex, Paris, Flammarion, 1925. Il arrive même qu’il attire notre attention sur un conte, non repris dans les recueils, comme La tombe, paru dans le Gil Blas du 29 juillet 1884 sous la signature de Maufrigneuse.
Si donc, du simple point de vue bibliographique, ce nouveau volume de souvenirs n’est pas négligeable, il l’est bien moins encore sur le plan anecdotique, car il restitue un Maupassant quotidien qui est bien loin de manquer d’intérêt... et il nous présente un Maupassant en robe de chambre, dans ses rapports quotidiens avec un serviteur qui se prend volontiers pour un confident. Dans la pure tradition des confidents de théâtre, en effet, François Tassart tient à ce que ses moindres gestes épousent étroitement l’ombre de son héros et nous avons, à chaque page, des traces de ce touchant mimétisme. C’est ainsi qu’il aime s’imaginer dans la peau de l’auteur de Boule de suif, conteur écouté, dont chacun sollicite une histoire, et sa « technique » est celle de beaucoup des récits du nouvelliste : au cours d’une réunion, la conversation générale tombe sur un sujet fertile en développements, et, presque ex abrupto, part l’anecdote que l’on voulait placer. Bien souvent, il faut en convenir, celles de François manquent un peu de vie et d’intérêt, mais il lui plaît de se donner un rôle, de se croire écouté, de tirer ses conclusions personnelles, de passer presque pour le collaborateur d’un maître admiré et aimé auquel il voue une véritable adoration. Il n’y a, dans cette attitude, aucun désir de geai de se parer des plumes du paon — l’amusant parallèle qu’il dresse entre le cardinal de Lavigerie... et lui-même le prouve — mais un véritable besoin de totale fusion. Il est, avec Maupassant, en communion, dans le sens religieux du mot. Sa bonne foi le sauve du ridicule et sa dignité de la caricature. Pour lui ce n’est plus servir qu’être le valet de chambre d’un Guy de Maupassant, mais recevoir une manière d’initiation dont il sera ébloui jusqu’à ses derniers instants. Sérieux, comme beaucoup de ses compatriotes, il lui manque seulement, de temps à autre, le sens de l’humour.
Très rares sont les chapitres où l’âge du narrateur se fasse sentir par quelque incohérence ou quelque manque de transition qui rend le récit peu clair, et nous ne pourrons guère citer qu’En route vers Étretat. Nous aurons peu d’occasions de signaler en note des erreurs ou des inexactitudes évidentes.
En revanche, la lecture de ces pages enrichit singulièrement notre connaissance de Maupassant sur des points encore peu connus. Les souvenirs sur la guerre de 1870 sont très neufs, et leur véracité est incontestable : nous nous serions méfié davantage s’ils avaient été la démarcation de quelque conte connu, car il eût pu y avoir transposition inconsciente.
Nous ont paru très neuves également les pages consacrées à Mme Laure de Maupassant, d’autant plus neuves qu’il ne semble pas que François ait connu l’ouvrage de Lumbroso qui a traité, lui aussi, les rapports de Guy avec sa mère. Si même il l’avait lu, ce n’est pas là qu’il a trouvé les notations sur la position religieuse de Maupassant. Or ces notations sont capitales, puisqu’elles permettent de connaître un Maupassant nouveau, qui, peut-être, s’étourdissait dans une vie mondaine épuisante pour reléguer volontairement au second plan une angoisse métaphysique dont parfois il ressentait l’étreinte. Cela n’apporte pas de révélation à proprement parler, mais c’est une confirmation des hypothèses de G. Normandy, toujours si sujet à caution, et le portrait classique du « taureau normand » est appelé de la sorte à quelques retouches.
Est-il permis, pour terminer, de signaler la saveur du style de François, si gentiment vieillot, si naïvement compassé, si soucieux de correction, si strictement guindé, lui aussi, dans la livrée ? Il se voulait le reflet de Guy de Maupassant et, bien souvent, il rappelle par son écriture si vertueusement peu naturelle, la chère comtesse de Ségur, née Rostopchine qui, quelque cinquante ans plus tôt, s’entendait à chanter les mérites des bons et loyaux serviteurs, pour qui la plus belle récompense est de figurer un jour sur les faire-part mortuaires de la famille qui est devenue la leur par droit d’amour.
Pierre Cogny

N.B. — Nous avons extrait ces quelques lignes de l’ouvrage d’Artine Artinian et Edouard Maynial, Maupassant, Correspondance inédite, Paris, Wapler, 1951, p. 299-300.
« François, entré au service de Maupassant en 1883, comme valet de chambre, lui demeura fidèle jusqu’à la mort et le servit avec un dévouement légendaire, dont on possède les preuves les plus touchantes.
(...) Véritable factotum, plutôt que valet de chambre, François s’occupait de toutes les affaires de son maître, en particulier pendant les longues et fréquentes absences de celui-ci.
(...) François Tassart survécut très longtemps à Maupassant, puisqu’il mourut à Roubaix, en janvier 1949, dans sa 93e année ».

1 Nous remercierons ici, et très vivement, M. Aimé Dupuy, sans lequel ces pages n’aurait jamais vu le jour. C’est lui qui, en effet, les a retrouvées, en a, le premier, vu l’intérêt, et a obtenu toutes les autorisations nécessaires à la publication.

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