François Tassart : Nouveaux souvenirs intimes sur Guy de Maupassant, texte établi, annoté et présenté par Pierre Cogny, Nizet, 1962, pp. 190-192.
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XXI
FUNÉRAILLES DE GUY DE MAUPASSANT

M. Guy de Maupassant décéda à Paris le 3 juillet 1893 ; il fut inhumé le 6 au cimetière de Montparnasse, 26e division.
La cérémonie religieuse eut lieu à Saint Pierre de Chaillot, où le chœur tout entier était tendu de noir lamé d’argent.
Le cercueil, placé sur un haut catafalque, disparaissait littéralement sous les fleurs.
À la vue de cette décoration, un souvenir pénible me déchira le cœur. Je revis le bureau de mon Maître à la Guillette sur lequel je plaçais chaque matin une corbeille de fleurs fraîches et, toujours l’auteur de Pierre et Jean les admirait, tout en faisant une tendre caresse à sa Piroli. Mais hélas ! aujourd’hui, sous cette profusion de fleurs, sa dépouille était là, inerte... plus de pensée, lui qui aimait tant le travail de l’esprit... alors, une prière monta à mes lèvres, demandant à Dieu de recevoir son âme qu’il considérait comme immortelle.
À ce moment, Mme Pasca était près de moi, et nos douleurs se mêlèrent dans des paroles de regrets et de consolation mutuelle.
Puis arrivèrent MM. Jules Case, Henry Céard, Georges de Porto-Riche, Camille Oudinot, Henri Roujon, etc... En quelques instants, l’église fut comble. Pendant la messe, on entendait un Kyrie, puis le Pie Jesu de Loysel, ce chant pieux de charité vers Dieu ; il reste en nous comme une chose inoubliable.
Au cimetière.

M. Émile Zola, dans un passage de son discours, a dit : « Maupassant est de la grande lignée que l’on peut suivre depuis les balbutiements de notre langue jusqu’à nos jours ; il avait pour aïeux Rabelais, Montaigne, Molière, La Fontaine, les forts et les clairs, ceux qui sont la raison et la lumière de notre littérature ; enfin, l’auteur de Bel-Ami, qui était élevé au rang de ses pairs, et qui avait goûté un si grand plaisir dans cette réalisation (sic) ; cependant, il était parti avec le regret au cœur de ne pouvoir compléter, couronner, comme il le disait, cette œuvre par quelques bons sujets qu’il avait préparés1 ».

Comme au jour de sa naissance, M. de Maupassant avait pour son départ de ce monde une journée claire, le soleil était là, qui dorait et chauffait de ses rayons ce bas monde, chose qui lui avait été si agréable pendant sa vie. Mais, hélas ! ce jour, il chauffe, il éclaire de son mieux cette fosse où l’on vient de descendre la dépouille mortelle de celui qui n’est plus. Enfin, la foule était grande autour de cette tombe, toutes les classes y étaient représentées, puisque celui qu’on honorait en ce moment n’y avait jamais vu de distinction ; à un moment donné, je me suis trouvé entouré de dames vêtues de noir, avec des voiles qui me dérobaient leur visage, je percevais des mouvements de mains et j’entendais mon nom qu’on prononçait tout bas, ce qui me mettait dans une certaine gêne. Heureusement, le généreux professeur Granger me tira de mon embarras en venant vers moi ; il me serra la main, et me dit très haut : « Vous êtes un brave ; n’importe ce qui pourra vous arriver (sic) venez me voir » !
Tout ce monde ne s’éloigna que lentement, le cœur serré, comme à regret. On eût dit, cependant, qu’une sorte d’espérance vaine régnait dans cette foule désirant entendre encore une fois la voix de celui qui avait fait si souvent vibrer les cœurs, avec ses écrits si réalistes et si touchants. Enfin, la cérémonie prit fin ; nous n’étions plus que six, dont Mme Pasca, cette artiste qui avait été pour M. de Maupassant une bonne conseillère, surtout principalement pour sa santé, puis Mme Macketta d’Allegri Roosevelt, femme de lettres, qui avait voué un culte à M. de Maupassant et à son œuvre, Mme Clémence, cette inséparable2... Puis Marie Mary, la femme de chambre de Mme de Maupassant mère, qui, par son dévouement et son bon cœur avait rendu de grands services à la famille de Maupassant, ma femme et moi.
Ce que nous nous sommes dit en face de la tombe ouverte de M. Guy de Maupassant, l’Ami et le Maître regretté, constituerait un opuscule de regrets et de douleur des plus touchants.

1 François cite de mémoire et procède par à peu près. Le texte de Zola se trouve dans le volume de Mélanges de l’édition Bernouard.
2 Ce nom, que nous n’avons pu identifier, est porté en surcharge sur le manuscrit, écrit à l’encre violette, alors que le texte est à l’encre noire.

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