Mais dans le cloître solitaire...
Vers adressés du fond du séminaire d’Yvetot à Mademoiselle E. D. sur son mariage
Comment, relégué loin du monde,
Privé de l’air, des champs, des bois
Dans la tristesse qui m’inonde,
Faire entendre une douce voix ?
Vous m’avez dit : « Chantez des fêtes
Où les fleurs et les diamants
S’enlacent sur de blondes têtes,
Chantez le bonheur des amants »
Mais dans le cloître solitaire
Où nous sommes ensevelis,
Nous ne connaissons sur la terre
Que soutanes et que surplis.
Comment dire Amour, Hyménée,
Dieux suivis de ris et de chants,
Parler d’épouse fortunée,
De fleurs, de parfums enivrants,
Et loin du fracas de la fête,
Cachés aux regards curieux,
Raconter les doux tête-à-tête
Autorisant de doux aveux.
Car dans le cloître solitaire
Où nous sommes ensevelis
Nous n’apercevons sur la terre
Que soutanes et que surplis.
Pauvres exilés que nous sommes
Il faut chanter des biens si doux,
Et du bonheur des autres hommes
Ne jamais nous montrer jaloux.
Un poète est donc insensible,
Pour lui l’amour n’a point d’appas ?
Non, voyez-vous, c’est impossible !
Oh ! ne vous imaginez pas
Que dans le cloître solitaire
Où nous sommes ensevelis,
Nous n’aspirions plus sur la terre
Qu’aux soutanes et qu’aux surplis.
Finissons de peur de déplaire
En vous parlant de mon malheur,
L’Avenir que pour vous j’espère
Est plaisir, amour et bonheur.
Gardez bien cette heureuse ivresse
Et cueillez les fleurs du chemin,
Mais parfois plaignez ma jeunesse
En vous disant que le chagrin
Habite au cloître solitaire
Où nous sommes ensevelis,
Et que l’on n’y voit sur la terre
Que soutanes et que surplis.
Yvetot, octobre 1867