Guy de Maupassant : Jeunesse. Poème publié dans Le Temps du 7 décembre 1897. Les Amis de Flaubert ont publié le manuscrit des quatre premières strophes dans le bulletin n°15, 1959, p. 7.

Jeunesse

Libre et levant le front l’orgueilleuse jeunesse
Sent l’avenir entier qui germe dans son cœur ;
Elle connaît sa force et, dans ses jours d’ivresse,
Regarde le ciel même avec un ris moqueur.

Il est pourtant des jours où l’avenir est sombre,
Où l’on pleure, où l’on doute, où l’homme le plus fort
Voyant tout son espoir s’enfuir ainsi qu’une ombre,
Sent passer sur son cœur comme un souffle de mort.

Quand soudain agonise en nous la confiance,
Nous cherchons éperdus quelques regards émus,
Un cœur qui nous soutienne en notre défaillance,
Devant qui notre orgueil tombe et reste soumis.

La pitié d’un ami nous irrite et nous blesse ;
Il frappe pour guérir, l’homme est toujours brutal ;
Il faut la main légère et douce, sans faiblesse,
Qui jusqu’à la racine, aille chercher le mal.

L’amitié d’une mère et trop haute et trop sainte ;
On garde son amour pour les plus grands malheurs.
Il faut le médecin auquel on dit sans crainte
La secrète blessure où germent « nos douleurs ».

Heureux, heureux celui qui peut verser son âme,
Ses inspirations, espoirs, rêves joyeux,
Chagrins et pleurs enfin dans le sein d’une femme,
Fleuve où l’on boit des maux l’oubli mystérieux.