La nouvelle loi militaire
Il faut quitter les charmants pâturages,
Il faut quitter les bois et les ombrages ;
Du monde, hélas, nous verrons les orages.
Il s’est enfui ce temps, cet heureux temps
Où nous courions et joyeux et contents
Dans les vergers, les vallons et les champs,
Où nous suivions, dans les vastes prairies,
Dans les jardins, dans les plaines fleuries,
Cheveux au vent, les brillants bataillons
Des Papillons.
Hélas ! mon Dieu, hélas ! si j’étais fille,
Je resterais au moins dans ma famille,
Je resterais sous le toit paternel,
Je resterais sur le sein maternel,
Hélas ! pour moi, plus que peine et tristesse ;
Adieu l’amour, le plaisir, l’allégresse,
Je n’aurai plus que chagrin, que douleurs,
Je n’aurai plus que soucis et que pleurs
Hélas ! mon Dieu ! faudra-t-il donc que j’aille
À la Bataille.
Du cruel sort, l’indomptable courroux
Oh, mes amis ! s’appesantit sur nous.
Comment dompter le destin qui nous presse ?
Hélas ! j’ai beau le supplier sans cesse,
Toujours il est inflexible à ma voix,
Nous ne pouvons nous sauver de son choix.
Oui, nous irons sur les champs de carnage,
Oui, nous verrons le meurtre et le pillage,
Nous foulerons les corps des Autrichiens
Et des Prussiens.
Quand j’aurai vu maint triomphe ou défaite,
Après maint coup, paix enfin sera faite,
Je reviendrai tout boiteux et sanglant,
J’aurai laissé mon bras dans le Brabant
Ma jambe en Chine et mon œil en Russie ;
J’aurai laissé mon nez en Sibérie,
Mon cœur partout, mes cheveux en Syrie ;
Qu’est tout cela ? Je serai Général,
Qu’est tout cela ? Je serai Maréchal
Ou Caporal.
Yvetot, 1867