Les nuits de Musset
Comme il avait beaucoup pleuré
Sur son infidèle maîtresse,
Il dit un jour : je me tuerai.
Ainsi qu’un navire en détresse,
Battu des vents, désemparé,
Perdu sur les grandes mers, flotte
Sans mât, sans voile et sans pilote,
Il s’en alla désespéré.
Or, c’était la nuit, les rainettes
Faisaient un vrai charivari,
Et les grillons, gens plus honnêtes,
Aux étoiles chantaient : cri-cri !
Et, lorsque la brise légère
Inclinait la haute fougère,
On entendait gémir la voix
D’un cor qui sonnait dans les bois :
Triste fanfare qui soupire
Comme la plainte d’un damné,
Peut-être l’âme d’un vieux sire
Qui revient, chasseur obstiné,
Aux lieux où jadis il est né.
Mais sur sa perfide maîtresse
Le poète avait tant pleuré,
Qu’il s’en allait désespéré
Et croyait voir, dans sa détresse,
La mort lui montrant un cercueil.
Le grand vaisseau perdu qui flotte
Sans mât, sans voile et sans pilote,
Ainsi va toujours à l’écueil.
Bientôt un rayon pâle,
Qui brille et disparaît,
Jette un reflet d’opale
Dans la sombre forêt
Toute rouge sous la feuillée.
La lune sort et monte aux cieux
Comme une enfant mal éveillée,
Qui, bâillant, se frotte les yeux.
Les cimes des bois s’illuminent
Et jettent au loin sa clarté,
Et tous les vieux arbres s’inclinent
Devant l’astre au front argenté.
Dans l’eau des étangs, les rainettes
Faisaient un vrai charivari,
Et les grillons, gens plus honnêtes,
À la lune chantaient : cri-cri !
Il entra dans une clairière ;
La mousse et la verte bruyère
Y formaient un épais tapis.
Fatigué de sa longue course,
Il s’assit auprès d’une source,
Pencha sa tête et s’assoupit.
Il rêvait à son infidèle,
À ses chagrins, à ses douleurs.
Un sylphe, qui cherchait des fleurs,
Vint le réveiller d’un coup d’aile.
« Retire-toi, sylphe moqueur,
Va trouver tes fleurs passagères.
Ouvre au vent tes ailes légères,
À leur parfum ouvre ton cœur.
— Ce soir, dit le sylphe rêveur,
Je courtisais une pensée,
Objet constant de mon ardeur.
Je bois une larme laissée
Dans le calice de la fleur
Comme une goutte de rosée.
Ô poète, je puis guérir
Le mal qui te fait tant souffrir ! »
Mais la lune dans la clairière
Laissait tomber quelques rayons ;
Ils se posaient sur la bruyère,
Endormie au chant des grillons.
Comme le vent du soir, rapide
L’esprit saisit les rayons d’or,
Et, joyeux, dans la nuit limpide
Sur les vents il prit son essor.
Autour des gerbes étoilées,
On le vit longtemps voltiger.
Il en fit un tissu léger
Comme la brume des veillées.
Puis, il attacha lestement
Un coin de son hamac à l’une
Des étoiles du firmament,
Et l’autre aux cornes de la lune,
Disant : « Quand tu croiras sentir
Les larmes brûler ta paupière
Et ta blessure se rouvrir,
Reviens dans la verte clairière,
Monte dans ma toile légère
Et tu cesseras de souffrir. »
Et la nuit, quatre fois, sur la verte pelouse,
L’a bercé jusqu’au jour dans son voile odorant,
L’enivrant de parfum, comme la fleur jalouse
« Enferme le frelon qu’elle enivre en mourant. »
Et le voyant souffrir, le dieu de l’harmonie,
Qui ne donne qu’aux pleurs la gloire et le génie,
Abandonnant les cieux, dans un chaste baiser,
Aux lèvres du poète est venu se poser.
Et Musset a chanté l’amour et ses abîmes ;
Le feu de Prométhée en son âme avait lui.
Et, quand nous relisons ses quatre chants sublimes,
Nous voudrions souffrir et chanter comme lui.
Étretat, février 1870