Guy de Maupassant : La poésie, pensée d’un philosophe. Poème publié dans Le Figaro du 21 septembre 1929.

La poésie, pensée d’un philosophe

Nous allons, nous suivons, d’un vain fantôme épris,
Cet astre aux grands reflets qu’on nomme Poésie.
Au vent de son caprice et de sa fantaisie,
Elle guide d’en haut le peuple des esprits
Par les illusions, à son gré nous promène.
C’est elle qui, trompant la confiance humaine,
Forgea les immortels pour l’Olympe payen,
Au Calvaire sanglant cloua le Dieu chrétien,
Fit tournoyer dans l’air l’essaim blanc des fantômes,
Peupla les vieux manoirs d’un monde redouté,
Montrant par le bois sombre, au pâtre épouvanté,
L’escarboucle de feu qui brille au front des gnomes.

Elle jeta Diane au milieu des halliers,
Elle enferma des Dieux dans l’écorce du saule,
Et puis le glaive aux reins et la croix sur l’épaule,
Pour la campagne sainte arma les Chevaliers.

C’est la grande menteuse à la douce parole
Qui pose au front des rois sa brillante auréole,
Qui nous fait espérer quand nous avons souffert,
Qui nous fait croire à Dieu, qui nous fait croire à l’âme,
Qui nous promet l’amour dans l’œil clair de la femme
Et montre un ciel ouvert aux vieux saints du désert.

C’est le rêve éternel qui toujours recommence,
Qui de son doigt vermeil guide la faible enfance,
Entraîne le jeune homme et soutient le vieillard :
Moïse, Michel Ange, Eurypide et Shakespeare,
C’est tout qu’on vénère et tout ce qu’on admire.

Elle vole, elle vole au front brillant des jours,
Elle fuit en chantant et sa robe étincelle,
Et nous, marchant, courant, les yeux fixés sur elle,
Sans arrêt, sans repos, nous la suivons toujours.

Mais je suis las d’aller, d’aller depuis l’aurore,
Vers ce but inconnu qui fuit à l’horizon,
L’étendue est sans ombre et la soif me dévore,
L’espoir comme un mirage a trompé ma raison.
Voilà que dans mon cœur j’ai vu grandir le doute,
Crouler ma confiance et mes illusions :
Je me couche épuisé sur le bord de la route,
Passez votre chemin les joyeux compagnons.