Guy de Maupassant : Rêverie dans la chapelle. Poème publié dans La Nouvelle revue du 1er avril 1897.

Rêverie dans la chapelle

Vers la fin de décembre, alors qu’un froid hiver
Dépouille les grands bois de leur verte parure,
Alors que tout est mort dans la triste nature
Et que d’un blanc linceul le sol même est couvert,
Nous étions réunis, un soir, dans la chapelle :
C’était pour célébrer la fête solenelle,
Où naquit Jésus-Christ, ce divin Rédempteur.
Et là, nous écoutions un saint prédicateur.
Il nous disait les biens que Dieu donne en partage
À l’homme, qui, resté pieux jusqu’à la mort,
Goûtera les douceurs du céleste héritage.
Il vantait le mortel qui jouit d’un tel sort.
Pour moi, je m’assoupis au doux son de sa voix
Et je penchai mon front tout plein de rêverie.
Je me crus transporté sur le bord d’un grand bois ;
Devant moi s’étendait une vaste prairie.
L’hiver était passé ; sortant d’un long sommeil,
La terre s’éveillait comme une jeune reine,
Qui, par un doux sourire, annonce son réveil.
Le soleil allongeait les ombres dans la plaine ;
L’air était imprégné des suaves odeurs
Qui s’exhalent des champs, des feuilles et des fleurs.
Le vent, qui circulait à travers le feuillage,
Semblait plein de parfums ravis au bord du Tage,
Quand le soleil se couche à la fin d’un beau jour.
L’oiseau gazouille : aimons ; l’insecte le murmure,
Et tout redit ce mot dans toute la nature.
Tout aimait dans le ciel et j’étais sans amour.
Comme l’arbre, sentant la sève qui le presse,
Se couvre de rameaux et se met à fleurir,
Je sentais en mon cœur l’amour et la jeunesse
Et je disais : Aimer ! quand j’en devais mourir ;
Et mon sang me brûlait en courant dans mes veines,
Et je pleurai, couché sous l’ombre des grands chênes,
Quand j’entendis un chant qui vers moi s’avançait,
Tout à coup se taisait et puis recommençait.
J’écoutai, et soudain, à travers le feuillage,
Apparaît à mes yeux une charmante image :
Une enfant jeune et belle approche pas à pas,
Elle chante l’amour qu’elle ne connaît pas ;
Sitôt qu’elle me voit, elle rougit, se trouble ;
Plus som embarras croît, plus sa grâce redouble ;
Son front pur et charmant se colore soudain,
Comme la neige vierge aux rayons du matin.
Mais, me voyant pleurer et plaignant ma jeunesse,
Elle me demanda d’où venait ma tristesse.
Je lui dis : « Écoutez, tout invite à l’amour,
Et l’ombre des grands bois et le déclin du jour ;
Tout aime autour de nous et tout goûte les charmes ;
Moi seul je n’aimais rien et je versais des larmes ;
Mais le ciel eut pitié de mon sort malheureux.
Enfant, vous êtes belle et je suis amoureux. »
Mais la nuit lentement avait couvert la terre.
On n’entendait plus rien que les accents rêveurs
Du rossignol, ami de l’ombre et du mystère,
Qui d’un premier amour célébrait les douceurs.
La lune se levait, triste et tendre déesse,
Qui cherche chaque nuit le pâtre Endymion,
Et pour trouver l’objet qu’appelle sa tendresse
Éclaire les grands bois d’un pâle et doux rayon.
Et moi je me penchai vers ma timide amante,
Et j’effleurai son front de ma lèvre brûlante.
Alors tout disparut et je rouvris les yeux,
Et le prêtre disait : « Enfants, montez aux cieux ! »
Mais la route est étroite, escarpée et glissante.
L’office était fini. Je sortis tout rêveur,
Car je me demandai d’où vient le vrai bonheur :
Le tenons-nous du ciel ou du cœur d’une amante ?


envoi

Anna, pour éclaircir ce doute,
Chaque essai doit avoir son tour ;
Mais prenons d’abord la grand’route,
Donnons la jeunesse à l’amour.
Et puis plus tard, quand les années
Nous auront blanchis tous les deux,
Que vos grâces un peu fanées
Ne pourront plus faire d’heureux,
Un long rosaire à la ceinture,
Nous gravirons l’étroit chemin ;
Et, si la route est un peu dure,
Le bon Dieu nous tendra la main.
Yvetot, 1867