Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome II, pp. 140-141, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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De Marie Bashkirtseff
à Guy de Maupassant

[Avril 1884.]
En vous écrivant encore je me ruine à jamais dans votre esprit. Mais ça m’est bien égal et puis c’est pour me venger. Oh ! rien c’est pour qu’en vous racontant l’effet produit par votre ruse pour reconnaître ma nature.
J’avais positivement peur d’envoyer à la poste, m’imaginant des choses fantastiques. Cet homme devait clore la correspondance par... je ménage votre modestie. Et en ouvrant l’enveloppe je m’attendais à tout pour ne pas être saisie.
Je l’ai tout de même été mais agréablement.
Devant les doux accents d’un noble repentir
Me faut-il donc seigneur cesser de vous haïr ?
À moins que ce soit une autre ruse : flattée d’être prise pour une femme du monde elle me la fera à la pose, après avoir provoqué un document humain que je suis bien aise d’expliquer comme ça.
Alors parce que je me suis fâchée ? Ce n’est peut-être pas une preuve concluante, cher Monsieur.
Enfin, adieu ! Je veux pardonner si vous y tenez, parce que je suis malade et comme cela ne m’arrive jamais j’en suis tout attendrie sur moi, sur tout le monde, sur vous ! qui avez trouvé moyen de m’être si profondément... désagréable. Je le nie d’autant moins que vous en penserez ce qu’il vous plaira.
Comment vous prouver que je ne suis ni un farceur, ni un ennemi ?
Et à quoi bon ?
Impossible non plus de vous jurer que nous sommes faits pour nous comprendre. Vous ne me valez pas. Je le regrette. Rien ne me serait plus agréable que de vous reconnaître toutes les supériorités. À vous ou à un autre.
Pour avoir à qui parler. Votre dernier article était intéressant et je voulais même, à propos de jeune fille, vous adresser une question. Mais...
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Pourtant, une petite niaiserie très délicate de votre lettre m’a fait rêver. Vous avez été affligé de m’avoir fait de la peine. C’est bête ou charmant, plutôt charmant. Vous pouvez vous moquer de moi, je m’en moque. Oui, vous avez eu là une pointe de romantisme à la Stendhal tout bonnement, mais soyez tranquille vous n’en mourrez pas encore cette fois.
Bonsoir.
Je comprends vos défiances. Il est peu probable qu’une femme comme il faut, jeune et jolie s’amuse à vous écrire. Est-ce ça ? Mais monsieur comment... Allons, j’allais oublier que c’est fini nous deux.