Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome II, pp. 182-183, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Émile Zola

Palerme, vendredi soir.
[mai 1885]
Mon cher Maître et ami,
Vous ne saviez peut-être pas que j’ai les yeux tout à fait malades et que la plus courte lecture m’est absolument interdite ; aussi avez-vous dû vous étonner un peu de ne recevoir aucune lettre de moi après Germinal.
Ne pouvant rien lire, j’ai emporté votre roman en voyage et j’ai prié l’ami qui m’accompagne de m’en faire la lecture. Donc, depuis huit jours, je suis dans Germinal. Nous venons de le finir et je veux vous dire tout de suite que je trouve cette œuvre la plus puissante et la plus surprenante de toutes vos œuvres.
Vous avez remué là-dedans une telle masse d’humanité attendrissante et bestiale, fouillé tant de misères et de bêtise pitoyable, fait grouiller une telle foule terrible et désolante au milieu d’un décor admirable, que jamais livre assurément n’a contenu tant de vie et de mouvement, une pareille somme de peuple.
On sent en vous lisant, l’âme, l’haleine et toute l’animalité tumultueuse de ces gens. L’effet que vous avez obtenu est aussi étonnant que superbe, et la mise en scène de votre roman reste devant les yeux et devant la pensée, comme si on avait vu ces choses.
J’entends d’ailleurs tous les jours parler de Germinal dans ce pays où on vous aime infiniment. Les journaux de Palerme, de Naples et de Rome se passionnent en des polémiques violentes à votre sujet.
Quand je retournerai à Paris, dans un mois environ, j’irai vous serrer la main à Médan. Je pense sans cessé à vous et je voudrais bien pouvoir causer plus souvent avec vous. Mais je ne viens guère à Paris, depuis trois ans.
Croyez, mon cher Maître et ami, à mes sentiments les plus affectueux, et présentez, je vous prie, mes compliments empressés et respectueux à Mme Zola.
Guy de Maupassant
Ne vous étonnez point de recevoir cette lettre recommandée. Cela est indispensable en ce pays.