Publication : Maupassant Guy de, Correspondance, tome III, pp. 178-180, édition établie par Jacques Suffel, Le Cercle du bibliophile, Évreux, 1973, avec notes de l’auteur.
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À Paul Ollendorff

[Fragment]
Aix-les-Bains, maison Bogey
[Septembre 1890].
... Je viens vous demander un service. Je viens de recevoir de Oscar Méténier l’inconcevable lettre que voici. Vous avez déjà servi d’intermédiaire dans cette affaire. Voulez-vous m’aider encore de votre intervention ?... J’ai répondu par télégraphe qu’étant donné le procédé je ne voulais même pas de communications avec M. Méténier, qui pouvait s’adresser à mon avoué M. Jacob, 4 Faubourg Montmartre. J’ai refusé en même temps, comme je l’ai déjà fait par votre bouche, l’autorisation de laisser jouer son inacceptable scénario.
Voulez-vous prévenir M. Jacob et le mettre au courant des faits ? Je vous les rappelle :
J’ai reçu, à Cannes, il y a plus de deux ans, une lettre que j’ai à Paris dans mes papiers, où MM. Méténier et Byl me demandaient l’autorisation d’essayer de tirer une pièce de Pierre et Jean. Le scénario, bien entendu, devait être soumis à mon appréciation, à mon acceptation, et toute modification exigée par moi serait faite. J’autorisai en ce sens.
De retour à Paris, je les invitai à dîner. Ils me lurent leur plan qui me parut inacceptable. Je félicitai froidement, mais je ne laissai pas achever la lecture, et je les congédiai en prétextant une sortie. Je dois ajouter que, d’après leur lettre, cette pièce était reçue d’avance dans un grand théâtre du boulevard. Cela était faux, car les collaborateurs me prièrent de les présenter à M. Deslandes. Je leur écrivis le soir même une dépêche bleue en leur disant qu’il fallait à mon sens des modifications radicales à leur plan. Je m’offrais cependant de les présenter à M. Deslandes pour en causer avec lui et avec Mme Pasca.
M. Méténier vint seul avec moi chez M. Deslandes et lui remit son scénario. Je revis ensuite M. Deslandes pour lui dire quelles modifications radicales j’exigerais si le projet de pièce obtenait son approbation. M. Deslandes me répondit quelques jours plus tard que ce scénario lui paraissait injouable. C’était mon avis. Je vous priai alors d’avoir une entrevue avec MM. Méténier et Byl pour leur demander de me rendre la liberté de confier cette pièce à d’autres : ils refusèrent. Vous les informâtes alors qu’à mon tour je ne les laisserais pas donner suite à leur projet. C’est mon droit absolu. Or, M. Méténier, le méconnaissant, s’est engagé, comme il le reconnaît, envers M. Derembourg.
Je m’oppose à ce que la pièce soit faite, car il n’y a eu qu’un scénario griffonné. Je m’oppose d’autant plus à ce qu’elle soit présentée n’importe où, et en particulier aux Menus-Plaisirs.
Le même cas s’est présenté pour Dumas avec La Dame aux Camélias... Dumas avait confié La Dame aux Camélias à un collaborateur.
L’œuvre ne lui a pas plu. Il l’a refusée, refaite tout seul, et malgré les protestations de l’autre l’a fait jouer en payant la moitié des droits d’auteur au confrère...
... Je crains tous les pièges du policier Méténier. Il faudrait donc suivre cela de près et agir violemment si besoin est, par la Société des Auteurs et même par les tribunaux. Auriez-vous l’amabilité de vous occuper un peu de cela pour moi, qui vais partir dans quatre jours pour Alger et Biskra.
Je vais mieux parce qu’il fait très chaud. Mais mes yeux sont encore perclus. J’espère que Biskra les éclaircira...