I
L’Ascendance.
S’il importe de faire état des origines lorraines de Guy de Maupassant
1, il n’importe pas moins de ne leur accorder qu’une médiocre attention.
Voici trente ans, Paul Mathiex connut, à Nancy, une famille portant encore le nom de Maupassant, —
mais il s’agit d’une branche assez éloignée pour ne nous retenir qu’un instant.
Les ancêtres de Guy avaient le titre de marquis. Leurs papiers de famille étaient au sceau des empereurs d’Autriche. Ils devaient leur noblesse à François, époux de Marie-Thérèse. Au siège de Rhodes, un Maupassant se couvrit de gloire.
C’est au temps de Stanislas Leczinski que la famille vint en Lorraine. Ultérieurement, ils s’attachèrent à la maison de Condé : Jean-Baptiste de Maupassant fut le chef du conseil de tutelle des princes de Condé et de Conti. Le docteur Balestre rapporte, d’après Mme Laure de Maupassant, mère de Guy, qu’une de Maupassant fut la maîtresse du fameux Lauzun qu’elle accompagna à la guerre, durant la conquête de la Corse. On trouve dans les Mémoires de Lauzun l’anecdote que voici. Un jour que cette belle personne s’exposait imprudemment au feu de l’ennemi, son illustre amant la pressa de s’abriter. Il s’attira cette réplique :
— Vous croyez donc que, nous autres femmes, nous ne savons risquer notre vie qu’en couches ?...
M. Pol Neveux note avec raison que l’auteur d’Une Vie « paraît tenir de ses ancêtres lorrains l’indestructible discipline et la froide lucidité », à quoi Paul Mathiex ajoute : « La gravité réfléchie, la froideur distante qui frappaient en lui dès qu’il eut passé l’âge de l’exubérance juvénile ».
Les Maupassant s’établirent en Normandie vers 1750. Le grand-père paternel de Guy exploitait un domaine agricole entre les Andelys et Rouen, à La Neuville-Champ-d’Oisel. Il se fit remarquer par ses sentiments hostiles à l’Empire.
La grande figure de la mère de notre auteur a éclipsé celle de son père qui, bien qu’effacée, ne saurait être négligée.
Gustave de Maupassant était un parfait gentilhomme et un homme du monde accompli. Intéressé dans une charge d’agent de change (Stolz à Paris), très séduisant, mais d’un caractère voluptueux et faible à la fois, il fut une manière de don Juan trop tendre. Il tenait de sa grand-mère, Mlle Murray, épouse de Louis de Maupassant, créole de l’île Bourbon, d’une beauté merveilleuse, des yeux magnifiques qu’il transmit à son célèbre fils. Ce tempérament ardent, ces instincts aristocratiques d’homme d’esprit galant et dépensier, se retrouveront intégralement chez Guy.
Mais les Le Poittevin prédomineront en lui.
Le grand-père maternel de Guy, Paul Le Poittevin
2, appartenait à une vieille famille de bourgeois normands. Une grand-mère, Mme Bérigny, contemporaine de Mme Deshoulières, fut en correspondance avec les beaux esprits de son époque
et laissa des vers élégants et très spirituels. (À Fécamp existe encore, de nos jours, un quai Bérigny.)
Paul Le Poittevin dirigeait de bonnes filatures à Rouen et à Saint-Léger-du-Bourg-Denis, à deux kilomètres de Darnétal. Orphelin de bonne heure, il avait été élevé par un de ses oncles, l’abbé de Perques, prêtre non assermenté, fort érudit. Si, de cette éducation religieuse, le filateur libre penseur ne retint qu’un grand respect pour la religion catholique, — au point qu’il appela un prêtre à son lit de mort, — on peut inférer qu’il garda de plus un goût certain pour l’aristocratie.
Une amie et consœur niçoise bien regrettée, Renée d’Ulmès (Mlle Ray), qui fréquenta Mme Laure de Maupassant à la fin de sa longue vie, racontait une curieuse légende qui, d’après la tradition orale, aurait influé sur la destinée de Paul Le Poittevin.
Il y a, près de Valognes, un vieux castel médiéval, la vavassorerie de Gonneville, où se trouve une « chambre hantée ». Tous ceux qui se risquaient à y coucher voyaient, dit-on, un mouton noir leur apparaître. Cette chambre inspirait à tout le monde une terreur telle que, plutôt que de s’y abriter, le plus misérable des chemineaux aurait dormi, à la belle étoile, sur les cailloux du chemin. Bravant ce mystère, et peut-être attiré par lui, Paul
Le Poittevin voulut dormir dans cette salle. Or, le mouton noir lui apparut et, d’une voix bizarre mais nette, lui déclara :
— Tant que toi et tes descendants conserverez ce domaine, la chance persistera pour vous !
Le jeune homme n’hésita pas à acquérir la vavassorerie de Gonneville dès que la fortune lui permit cet achat. Soumission au merveilleux assez surprenante chez un homme de cette activité et chez un scientifique ! (Guy, qui n’eut pas de superstitions d’enfance, devait hériter de son grand-père maternel cette curiosité de la vie occulte, et, à l’exemple de son oncle Alfred Le Poittevin, déduire le monde surnaturel du monde matériel.)
Paul Le Poittevin avait épousé, en 1815, Mlle Thurin, fille d’un armateur de Fécamp, où elle était née, et dont la beauté fut célèbre à cinq lieues à la ronde. De cette union naquirent Paul-Alfred Le Poittevin (né à Rouen, le 29 septembre 1816) et Laure (née le 28 septembre 1821).
Pendant mon enfance, l’opinion publique voulait qu’à l’origine le nom de Le Poittevin se fût écrit
Lepoittevin (et en 1885, Félicien Champsaur, qui fut l’hôte de Jean Lorrain à Fécamp, ne l’écrivait pas autrement), voire même Poidevin
3.
Quoi qu’il en soit, ayant la fortune, l’intelligence et le savoir, les Le Poittevin, par un processus classique, aspiraient à l’aristocratie. C’est ainsi que les enfants du bourgeois filateur de Rouen et de Saint-Léger s’unirent à ceux du noble agriculteur de La Neuville-Champ-d’Oisel : Alfred Le Poittevin, désespéré par sa déception amoureuse à l’égard d’une jeune fille mystérieuse qu’il nomme Flora, épousa Mlle Aglaé de Maupassant en même temps que sa sœur Laure devenait la femme de Gustave de Maupassant (1846).
Ces deux unions durèrent peu : moins de deux ans plus tard Alfred Le Poittevin mourait dans une longue agonie ; après une dizaine d’années, plutôt pénibles, de mariage, durant lesquelles deux fils naquirent, Laure et Gustave de Maupassant se séparèrent à l’amiable, « par acte simple du juge de paix », écrit Édouard Maynial. Mme de Maupassant reprenait sa fortune, gardait ses enfants et, selon Lumbroso, recevait pour eux, de son mari, une pension annuelle de 1 600 francs. M. de Maupassant
se conduisait donc en parfait galant homme.
Nous verrons plus loin quelle enfance fut celle de ces deux garçons, nommés, toujours avec le même souci d’aristocratie, Guy et Hervé. Ce qui doit nous intéresser d’abord, c’est la vie d’Alfred Le Poittevin et celle de sa sœur jusqu’au moment de son mariage.
Mlle Thurin, de Fécamp, mère d’Alfred et de Laure, et Mlle Anne-Justine-Caroline Fleuriot, de Pont-Lévêque, mère de Gustave Flaubert, avaient fait ensemble leurs études dans un pensionnat d’Honfleur, dirigé, selon Mme Commanville, « par d’anciennes maîtresses de Saint-Cyr ». Mariées, elles se retrouvèrent à Rouen, dans le même monde et chez des amies communes. Des relations suivies s’établirent entre la famille du filateur de Saint-Léger et celle du chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu de Rouen. Les naissances des enfants resserrèrent encore l’intimité des deux ménages. Le docteur Flaubert fut le parrain d’Alfred Le Poittevin et Paul Le Poittevin fut celui de Gustave Flaubert. Aucun autre lien de parenté ne liait les deux familles. Il est inexact de dire, comme certains auteurs, sérieux pourtant (Georges Grappe, par exemple) l’on fait, que Guy de Maupassant fut le neveu et le filleul de Flaubert, — comme il est odieux et stupide d’admettre, avec
certains fantaisistes, qu’il pût être son fils : tout dément de telles hypothèses. La plus simple et la meilleure démonstration de l’inanité de cette dernière supposition a été faite par M. Léon Treich. Écoutez-la : « Flaubert est parti le 29 octobre 1849 avec Maxime du Camp pour son voyage en Orient ; depuis le 12 septembre, d’autre part, jusqu’au 29 octobre il ne mit point les pieds hors de Croisset et ni sa mère, ni lui n’y reçurent la visite de Laure de Maupassant, des documents nombreux l’attestent. Or Guy est né le 5 août 1850. »
La vérité est plus belle et plus éloquente que ces imaginations.
La camaraderie entre Gustave Flaubert, sa sœur Caroline, Alfred Le Poittevin et sa sœur Laure fut quelque chose de très pur et de charmant. L’aîné du groupe, Alfred Le Poittevin, plein de verve, d’intelligence et d’esprit, exerça sur la formation intellectuelle de ses trois camarades une influence considérable. En particulier, Flaubert reçut de lui une empreinte ineffaçable, — et c’est grâce à lui que Laure, dont il fut, en outre, le premier professeur (comme Gustave fut le premier professeur de Caroline) prit le goût des lettres, se familiarisa avec les classiques et apprit l’anglais — car Alfred, qui lisait couramment le latin, lisait également dans le texte Shakespeare, son auteur favori.
Le décor sévère et sombre de l’Hôtel-Dieu dans
lequel résidait le docteur Flaubert, les corridors sinistres de ce vieux bâtiment, le spectacle constant de la maladie et de la douleur humaine, produisirent sur l’esprit et sur les nerfs de ces enfants des effets identiques et les inclinèrent vers le pessimisme. Alfred surtout dut, vraisemblablement, à ce contact prématuré avec les pires tristesses de la vie humaine, cette tournure d’esprit philosophique et critique qui lui fit ébaucher
Une promenade de Bélial, à moins de trente-deux ans, et préparer Flaubert à écrire
La Tentation de saint Antoine. Cela suffirait à protéger sa mémoire de l’oubli et à montrer combien fut excessive, à son endroit, la sévérité de quelques critiques qui, lorsque M. René Descharmes publia les manuscrits laissés par ce jeune homme, oublièrent l’âge de celui qui les avait tracés et jugèrent comme s’il s’agissait d’œuvres achevées composées par un homme mûr.
Toutes les préoccupations, toutes les inquiétudes d’Alfred Le Poittevin — et de Gustave Flaubert, qui, entre quinze et vingt ans, écrivit
Les Mémoires d’un fou — se retrouvèrent chez son neveu comme s’y retrouvera son orgueil immense, défaut splendide qui fut aussi celui de Flaubert, celui de Laure et celui de toute sa lignée. Entre cent autres exemples, voici ce qu’Alfred écrivait à Flaubert, dans une lettre inédite, le 6 août 1842 : « ... Je lis la
Correspondance de J.-J. Rousseau,
quel gaillard !
Je n’ai jamais mis au bas d’une lettre : votre serviteur, — n’étant le serviteur de personne ! — De l’orgueil bien placé, pamphlet ! »
Après sa déception avec la mystérieuse Flora, il se défendit d’envisager l’amour autrement que dans ses aspects matériels les plus grossiers. Il sera toujours en garde contre le mensonge de la volupté ; il affectera dans ses lettres un cynisme outrancier et il finira, en le sachant (lettre à Flaubert du 15 septembre 1845), de détruire sa santé déjà compromise par des excès, des orgies, des débauches de toutes sortes. Et, malgré tout, il y aura toujours en lui deux hommes : l’un, toujours de sang-froid, sera sans cesse occupé à observer le trouble, l’émotion, la joie, toutes les sensations de l’autre, avec malice ou avec pitié. Chez l’auteur du
Horla nous retrouverons tout cela aggravé jusqu’à
l’autoscopie externe (1889), jusqu’à l’hallucination. Il n’est pas impossible, d’ailleurs, qu’Alfred Le Poittevin — que nous savons nerveux et impressionnable à l’excès, sous des dehors d’impassibilité
obtenue (comme Maupassant, toujours) — ait eu, lui aussi, des hallucinations, mais alors que nous n’ignorons pas combien Flaubert était sujet à ces phénomènes, rien ne nous permet de conclure avec certitude sur ce point en ce qui regarde le frère de Laure. Là encore nous retrouvons le mystère — faut-il dire systématique, organisé ? — qui
plane sur les faits les plus simples concernant la famille Le Poittevin-de Maupassant. On croit pouvoir discerner dans tout cela, à la fois un goût naturel pour la légende, pour l’irréel, et, contradictoirement parfois, un souci très lucide de certaines réalités.
Goût naturel pour l’irréel : j’ai conté l’histoire de la vavassorerie de Gonneville. Je conterai plus loin la légende des Verguies.
Souci de certaines réalités : lorsque Mme de Maupassant prétend — et elle le prétendit jusqu’à son dernier souffle — ou lorsqu’elle déclare — et elle le déclara jusqu’à la fin en négation de tous les faits et contre l’évidence même — que la folie de Guy fut tout à fait soudaine alors qu’il avait joui jusqu’alors « au physique et au moral d’un admirable équilibre » (
sic), elle montrait le souci très lucide et
très respectable, d’ailleurs, de créer deux légendes, entre autres, en faveur de pathétiques réalités. Et avec Mme de Maupassant nous avons à parachever l’indication des charges héréditaires qui pesaient directement sur Guy. C’est un sujet douloureux, auquel on ne peut toucher qu’avec des mains brutales, aussi brutales que la vérité. Considérons que nous suivons, à la trace, avec une rigueur médicale — et c’est toujours, de l’avis des médecins, avec une certitude assez relative — la diathèse de Maupassant, sans phrases superflues,
sans explications hâtives, sans pudeur exagérée, sans idées préconçues, sans souci de panégyrique — encore que nul plus que moi n’admire l’auteur de
Fort comme la mort — et surtout sans système. Nous étudions son cas qui, scientifiquement, n’a rien d’extraordinaire, comme nous en étudierions un autre.
Nous avons esquissé la formation intellectuelle de Mme Laure de Maupassant, femme supérieure, mère exemplaire qui mérite de partager la gloire du fils qu’elle a conçu, élevé, dont elle a formé et développé l’intelligence, comme son frère Alfred avait formé et développé la sienne, à elle. Ce qui va nous occuper maintenant, c’est l’état physique et mental de cette illustre femme.
En 1878, des lettres de Guy et de Flaubert nous renseignent. Mme de Maupassant est très malade et son état s’aggrave progressivement. Le 11 septembre, Maupassant lui écrit : « Ma chère mère, j’ai reçu, hier soir, de tes nouvelles par Léon Fontaine, qui revenait d’Étretat. Il m’a dit que tu n’allais pas mieux et que si tes yeux te faisaient moins souffrir, ton cœur allait plutôt plus mal. Je ne comprends pas que tu aies des syncopes aussi violentes avec une maladie aussi peu avancée (
sic) que la tienne ; il faut que l’
affection nerveuse se combine avec les troubles organiques. J’ai des amis
jeunes médecins et je leur en ai parlé : ils trouvent ces accidents extraordinaires. »
Quelle redoutable signification prendra cette lettre lorsque nous assisterons à la longue agonie de l’écrivain !
Flaubert, son fidèle camarade d’enfance, écrivait à Laure dès le 12 décembre 1873 : « Tu m’affliges avec cet appauvrissement du sang dont tu parles. Est-ce bien vrai ? N’as-tu pas fait trop d’exercice ? Trop marché ? » Or, cinq ans plus tard, il est obligé d’écrire à Guy (15 juillet 1878) : « Trop de canotage, trop d’exercice ! Oui, Monsieur !... »
Nous songeons, tout de suite, à la fois, aux grandes parties de canotage que Flaubert et Le Poittevin faisaient à l’insu de leurs parents, après la classe, sur la Seine, vers Oissel ou Bonsecours — et aux randonnées de Maupassant à Bezons, Chatou, Maisons-Laffitte et Sartrouville.
Le 28 novembre 1878, Flaubert mande à Guy : « ... Je suis embêté de ce que vous me dites de votre pauvre mère. Le plus simple ne serait-il pas de lui trouver une maison de santé ? Pouchet vous renseignera là-dessus. »
Depuis l’année précédente (1877), Mme de Maupassant souffrait très douloureusement de cette affection qui la travaillait depuis longtemps et dont les manifestations étaient si diverses
qu’elles déroutaient la Faculté. Certains praticiens, amis de la famille, avancèrent que « ce
pouvait être le ténia ». Il est beaucoup plus probable qu’il s’agissait d’une maladie organique. Il n’est guère permis de douter quand nous lisons ce que Gustave Flaubert écrivait en 1880 à sa nièce Caroline : « ... Ce qu’il y a de sûr, c’est que Guy souffre beaucoup.
Il a probablement la même névrose que sa mère... »
Une autre lettre, de beaucoup postérieure, acquiert, en dépit des années, une importance capitale. Elle fut écrite, quinze ans plus tard (29 mars 1892), — mais l’état de santé de notre malade ne s’était jamais complètement rétabli, — par son mari, Gustave de Maupassant, à M. Jacob
4. Il est sûr que le père de Guy n’était pas disposé à la bienveillance (mais peut-être avait-il des souvenirs ?), il est évident qu’il n’assistait pas aux scènes qu’il rapporte. Il ne parle que d’après sa belle-fille. Soit. Il semble, malgré tout, difficile d’ergoter sur la matérialité des faits.
« ... Mme de Maupassant, écrit-il, est arrivée à un tel paroxysme de fureur qu’à la moindre chose elle a des attaques terribles qu’il est impossible de cacher à l’enfant (Simone, fille d’Hervé de Maupassant) et qui lui font un mal énorme. Depuis huit jours, Mme de Maupassant était sans nouvelles de Guy — sa tête déménageait et elle était inabordable — elle traitait ma belle-fille (la veuve d’Hervé de Maupassant) comme la dernière des femmes — elle traînait dans la boue la famille de celle-ci et, bref, samedi, dans une attaque, elle chassait Marie-Thérèse de sa chambre et lui ordonnait de retourner dans sa famille !... Ma fille sortit de la chambre pour aller faire ses malles. Quand ce fut fait, elle descendit pour lui dire adieu.
« Dans l’intervalle, Mme de Maupassant avait avalé deux flacons de laudanum. Elle était anéantie !!! On courut chercher le médecin qui la fit vomir, et l’excès du poison la sauva. Quand elle revint à elle sa fureur ne connut plus de bornes. Elle se leva, bouscula ma fille et se sauva dans la rue !! On se précipita après elle. Elle fut ramenée et couchée. Ma belle-fille fut alors occupée par l’enfant qui avait à son tour une crise abominable. Elle l’emmena dans sa chambre et la confia à des amies pendant qu’elle retournait auprès de sa belle-mère. Mme de Maupassant avait profité de ces quelques minutes pour s’étrangler avec ses cheveux !... Il a fallu les couper pour la sauver. Alors, elle a eu des étouffements, des convulsions terribles... Cette lettre est, naturellement, confidentielle, car il faut avant tout songer à l’avenir de cette malheureuse petite fille. Ces événements sont abominables pour elle. — Permettez-moi de vous soumettre cette question : n’y a-t-il pas quelque chose à faire pour cette enfant ? Il me paraît urgent de l’éloigner. Il faudrait donner une garde à Mme de Maupassant, ou la faire soigner dans une maison de santé comme elle le demande. »
Et nous songeons à Guy de Maupassant à Cannes — et à Passy !
Soudaine, la folie de Guy de Maupassant ? Allons donc !... Nous irons au fond des choses dans le chapitre consacré à la maladie de ce grand écrivain.
J’ai voulu indiquer que l’auteur de Bel-Ami avait une « hérédité chargée ». En détruisant quelques fables au passage, étudions la naissance et la vie personnelle, tour à tour triomphante et terrifiante, du puissant romancier qui, avec une solennité angoissante mais dans une phrase pareille à un éclair, disait, au moment où il se sentait sombrer, à José-Maria de Hérédia :
— Je suis entré dans la vie littéraire comme un météore et j’en sortirai comme un coup de foudre.
1 En matière d’hérédité, il est sage de se garder autant des systèmes que des manies scientifiques. Il y aura toujours, dans ce domaine, quelque mystère. Les médecins les plus spécialisés ne peuvent guère, en l’espèce, se permettre d’affirmer.
0 Je ne chercherai ni à discuter, ni à conclure, dans ce petit ouvrage anecdotique, mais il ne serait pas possible de lui garder quelque signification si je ne m’y occupais de l’hérédité de l’auteur d’Yvette.
0 Bien que ses lois soient encore inconnues, l’hérédité n’est point une base inexistante lorsqu’il s’agit de Guy de Maupassant. Elle nous fournit, à la fois, presque toutes les composantes de cette force magnifique, intellectuelle et corporelle, que fut le grand écrivain et tous les germes de destruction qu’elle portait en elle-même, dès l’origine.
2 Exactement, devant l’état-civil, Jean Paul François Le Poittevin.
3 Autres références. Dans les Lettres [de Flaubert] à sa nièce Caroline (Fasquelle, 1909, p. 211), nous lisons le renvoi suivant, qui est de Mme Caroline Franklin-Grout : « (2) Alfred Lepoittevin (sic). Mon oncle dédia Saint-Antoine à sa mémoire. » Dans le même ouvrage, p. 313, nous voyons Gustave Flaubert écrire : « Je suis bien aise que Laure Lepoittevin (sic) t’ait bien reçue. » Puis : « ... chez Mme Enault et chez la mère Legras pour finir par Mme Lepoittevin » (p. 398). Et Mme Caroline Franklin-Grout explique, dans un renvoi au bas de cette page : « (1) Mère de son ami Alfred Lepoittevin et grand-mère de Guy de Maupassant. »
4 Avoué, ami de la famille et administrateur des biens de Maupassant.