De Marie Bashkirtseff
à Guy de Maupassant
Je crois que vous vous trompez. Et je suis encore bonne de vous le dire car je vais cesser d’être intéressante si je l’ai jamais été. Vous allez voir comment. Je me mets à votre place. Une inconnue se dessine à l’horizon. Si l’aventure est facile elle me répugne. Si il n’y a rien à faire elle est inutile et m’ennuie.
Je n’ai pas le bonheur d’être entre les deux et je vous en avertis très-gentiment puisque nous avons fait la paix.
Ce que je trouve très-drôle c’est de vous dire simplement la vérité pendant que vous vous imaginez que je vous mystifie.
Je ne vais pas dans le monde républicain bien que républicaine rouge ! Mais non, je ne veux pas vous voir.
Et vous vous ne voulez donc pas d’un peu de fantaisie au milieu de vos saletés parisiennes ? Pas d’amitié impalpable ?
Je ne refuse pas de vous voir et je vais même m’arranger pour cela sans vous en prévenir. Si vous saviez qu’on vous regarde exprès, vous auriez peut-être l’air bête. Il faut éviter ça.
Votre enveloppe terrestre m’est indifférente, bien ; mais la mienne à vous ? Mettez que vous aurez le mauvais goût de ne pas me trouver merveilleuse, croyez-vous que je serais contente quelque pures que soient mes intentions ?
Un jour je ne dis pas, je compte même vous étonner un peu ce jour-là. En attendant, si cela vous fatigue, ne nous écrivons plus. Je me réserve pourtant le droit de vous écrire lorsqu’il me passera des atrocités par la tête.
Vous vous défiez, c’est très-naturel. Eh bien je vais vous donner un moyen de concierge pour vous assurer que je n’en suis pas une. Ne riez pas seulement. Allez chez une somnambule et faites-lui flairer ma lettre, elle vous dira mon âge, ma couleur, ce qui m’entoure etc. Vous m’écrirez ce qu’elle aura révélé.
Ennui, farce, misère. Ah ! monsieur c’est parfaitement juste même pour moi. Mais moi, c’est parce que je veux des choses énormes que je n’ai pas... encore. Vous ce doit être pour le même motif.
Pas assez simple pour vous demander quel est votre rêve secret bien que ma maladie m’ait refait une candeur à la Chérie. Vous admirez ça vous ? Quel naïf prétentieux que ce vieux japonais naturaliste en perruque Louis XV !
Alors vous pensez qu’après avoir écrit, rien n’est plus simple que de venir dire : c’est moi !
Je vous assure que ça me gênerait beaucoup.
On dit que vous n’appréciez que les fortes-femmes aux cheveux noirs. C’est vrai ?
Vous voir ! Laissez-moi donc vous charmer par ma... littérature, vous y êtes bien arrivé, vous !