VII
Guy de Maupassant mourut très calme le 6 juillet 1893
1 : « Il s’est éteint comme une lampe qui manque d’huile », raconte l’un de ses gardiens. Ses dernières paroles, quelques instants avant la mort, auraient été : « Des ténèbres, oh ! des ténèbres
2 ! » Mais l’authenticité d’un pareil adieu à la vie nous paraît discutable.
L’enterrement eut lieu le surlendemain 9 juillet
3. Tous les fidèles de Maupassant, hommes de lettres ou artistes, y assistaient. Émile Zola prit la parole sur la tombe de son ami. Il dit ce que fut cette
vie dont Maupassant lui-même comparait l’éclat à celle d’un météore, la rapidité irrésistible du succès, l’énergie et la santé de l’œuvre, la belle humeur d’une pensée claire, la loyauté intrépide et la franchise du caractère ; puis il montrait la soudaineté tragique du mal, la brusque démence, la nuit irrémédiable, et les derniers mots étaient un acte de foi dans la solidité de cette gloire :
Qu’il dorme donc son bon sommeil, si chèrement acheté, confiant dans la santé triomphante de l’œuvre qu’il laisse ! Elle vivra, elle le fera vivre. Nous qui l’avons connu, nous resterons le cœur plein de sa robuste et douloureuse image. Et dans la suite des temps, ceux qui ne le connaîtront que par ses œuvres l’aimeront pour l’éternel chant d’amour qu’il a chanté à la vie.
La tombe de Maupassant est au cimetière de Montparnasse, dans la 26e section, non loin de celle de César Frank. En 1895, il fut question de transporter son corps au Père-Lachaise et de lui élever un monument par souscription ; un comité s’était formé à l’instigation de son ami Paul Ollendorff ; la ville de Paris devait concéder un terrain près de la tombe d’Alfred de Musset. Mais Mme de Maupassant s’opposa à ce projet, par respect pour la mémoire de son fils, dont elle connaissait le dédain pour toutes les manifestations funèbres de la vanité.
Elle ne put empêcher cependant la piété fidèle
des amis de son fils de lui donner un témoignage public de leur admiration. Deux monuments lui furent dédiés, l’un à Paris, au parc Monceau (24 octobre 1897), l’autre dans sa province natale, à Rouen (27 mai 1900). L’inauguration de Rouen fut une véritable fête normande : plusieurs écrivains, notamment J.-M. de Heredia et Henry Fouquier, apportèrent à Maupassant l’hommage des lettres françaises ; M. Gaston Le Breton, qui présidait le Comité, remit à la ville de Rouen l’œuvre de Raoul Verlet et de Bernier : dans le square Solférino, parmi les jeunes verdures et les fleurs, apparut l’effigie pensive dominant sa stèle de granit ornée d’une symbolique branche de pommier ; la foule des amis était venue entendre évoquer par les orateurs officiels le souvenir d’une vie qui s’était un instant mêlée à la leur ; il y avait là Jacques Normand, Catulle Mendès, Émile Pouvillon, Léo Claretie, Fasquelle, Ollendorff, Albert Sorel, Auguste Dorchain, Marqueste... Quelques poésies de Maupassant,
l’Oiseleur,
Découverte,
les Oies sauvages, furent dites par Mlle Moreno, entre deux discours. Une même pensée animait ces manifestations diverses de sympathie et d’admiration : c’était, dans un décor et parmi un peuple qu’il avait tant aimés, l’offrande suprême de la terre natale à l’un de ses fils ; l’âme normande palpitait à travers les phrases sonores, la musique voilée et les
rythmes ingénieux des vers ; une pensée délicate associait dans une même apothéose les deux grands Normands, le disciple et le maître, Flaubert et Maupassant
4.
1 À trois heures et demie de l’après-midi d’après les souvenirs d’un témoin. (A. Lumbroso, p. 96.)
2 D’après l’article de Diego Angeli déjà cité.
3 C’est le jour de l’enterrement que Hector Malot conta à G. Toudouze l’anecdote sur la Maison Tellier que nous avons rapportée.
4 Voir surtout les discours de J.-M. de Heredia et d’H. Fouquier (A. Lumbroso, pp. 199-215.)