Où est né Maupassant ?

Une mise au point


Miromesnil ou Fécamp ? L’incertitude a longtemps régné sur cette question. Deffoux et Zavie (Le Groupe de Médan, Crès, 1925) et Georges Normandy (Maupassant, Rasmussen, 1926), se contentant de témoignages oraux, ont affirmé que Maupassant serait né le 5 août 1850 à Fécamp, 98 rue Sous-le-Bois (actuellement quai Guy de Maupassant), chez sa grand-mère, la mère de Laure de Maupassant, endroit bien moins glorieux que l’aristocratique château de Miromesnil. Cependant, au risque de mettre fin au suspense, la question n’est plus d’actualité aujourd’hui, en fonction de découvertes à la fin des années 1980. Mais reprenons au début et penchons-nous sur ce que nous enseignent les différentes biographies et études sur Maupassant.

L’incertitude est née sans doute à la rédaction de l’acte de décès de Maupassant sur lequel on peut lire né à Sotteville. On sait maintenant qu’il s’agit d’une erreur du scribe qui a confondu Sotteville et Sauqueville, commune jouxtant le château de Miromesnil. Pourtant, le doute était lancé.
En 1979, dans sa biographie très complète Maupassant le Bel-Ami, Armand Lanoux fait le point sur cette question.
Pour les partisans de la thèse fécampoise, le seul argument en faveur de Miromesnil, c’est l’acte de naissance dressé par le maire Martin Lecointre. Or, l’État Civil donnant encore à l’époque beaucoup d’indications fausses, erreurs ou complaisances, l’hypothèse prend un sérieux coup dans l’aile.
Par ailleurs, Me Maurice Glin, notaire à Offranville, a confirmé formellement à Georges Normandy n’avoir trouvé « aucun bail, aucun renseignement concernant la vente ou la location de Miromesnil à la famille Maupassant ». On peut certes imaginer qu’il y ait eu location de gré à gré, sans bail. Mais c’est étrange pour une demeure de cette importance, et pour une location d’une durée que l’on a évaluée entre trois et sept ans. Surtout en Normandie.
Autre argument, une lettre de Maupassant à sa mère, datée du 22 octobre 1878 et relatant le retour de Guy au château avec son ami Robert Pinchon. Celui-ci déclare que la façade du côté de la mer, la direction par laquelle ils sont arrivés, ne lui rappelle rien. Ils ne poursuivront pas plus avant la visite parce qu’il était habité et que des gens à l’air bête se promenaient... Puis la lettre est justement coupée à cet endroit, au moment où Guy allait peut-être évoquer le lieu de son enfance. Pourquoi ? Mystère ! Peut-être parce qu’il y avait des choses à cacher...
Autre détail troublant, dans une lettre datée cette fois-ci du 28 janvier 1884 et adressée à Caroline Commanville, la nièce de Flaubert, Guy parle du banc de Fécamp qui lui servait de navire et du peuplier où il grimpait. Il me semble que je ferais encore le dessin de cet arbre... Les souvenirs portent donc sur Fécamp, et non sur Miromesnil.
Enfin, la réponse de Laure à un gardien de parc de Rouen, qui se vantait d’être le frère de lait de Maupassant (c’est-à-dire ayant eu la même nourrice) : « J’ai été la nourrice de mon fils Guy et ne permettrai à personne d’usurper ce titre. Je ne pense pas en effet qu’une personne étrangère puisse s’arroger un pareil droit pour avoir pendant quatre ou cinq jours allaité mon enfant. Je me trouvais alors à Fécamp chez ma mère lorsque je fus atteinte d’une indisposition légère. C’est alors que la fille d’un fermier voisin fut appelée pour me venir en aide. Voilà toute la vérité. »
Il y a encore quelques témoignages oraux, cités par A. Lanoux, mais dont la valeur est, somme toute, assez discutable...
Mais en définitive, l’argument le plus déterminant, c’est le supposé snobisme de Laure de Maupassant, qui aurait mis en scène la naissance de son premier fils. Pour preuve de ce trait de caractère, son souhait que Gustave Maupassant, le futur mari, s’anoblisse en faisant précéder son nom de la particule de, pour pouvoir l’épouser. La particule explique le château et, du coup, c’est Laure qui plaide le mieux pour une naissance clandestine à Fécamp ! Ce qui explique d’ailleurs toutes ses tentatives de dissimulation.
Il s’agit donc là d’une hypothèse bien séduisante, qui n’a pas manqué d’être relayée, mais qui reste malgré tout une hypothèse.

Avant d’aborder les pièces clés de ce dossier, répondons à quelques objections :
Tout d’abord, l’authenticité des registres de l’État Civil n’est pas à remettre en cause et ils sont tout à fait crédibles. C’est du moins l’opinion de Germain Galérant pour lequel, dans son livre Les Roses sadiques de Maupassant, pourtant peu favorable à l’écrivain, les généalogistes professionnels assignent une fiabilité absolue aux documents d’État Civil et aux archives ecclésiastiques qui, côtés et paraphés, n’ont subi aucune autre altération que celles qui tiennent à l’orthographe des noms propres.
Ensuite, on ne peut absolument pas déduire mécaniquement, du fait que Fécamp soit mentionné ici et là dans une correspondance, que cette ville ait vu naître Maupassant. Celui-ci y a passé une partie de son enfance, il est normal qu’il en parle. De même pour Laure qui a certainement allaité son enfant chez sa mère.
On peut également discuter les tentatives de dissimulation : si la fin de la lettre du 22 octobre 1878 manque, peut-être a-t-elle été égarée tout simplement ? Ou bien l’a-t-on mise ailleurs pour ne pas faire passer à la postérité des détails inconvenants sur ces gens à l’air bête ? On ne peut rien conclure sur ce détail.

À la fin des années 80, deux responsables de l’association des Amys du Vieux Dieppe, M. Michel Fécamp et Mme Mireille Bialek, mettent la main sur plusieurs documents décisifs.
Le plus important d’entre eux est l’annonce, en août 1849, de la location du château de Miromesnil, dans le journal local La Vigie de Dieppe. Celui-ci est loué de gré à gré, ce qui explique l’absence du document locatif qu’a cherché en vain Georges Normandy.
Gustave de Maupassant se montre intéressé et offre de prendre le château sans ses meubles. La propriétaire du lieu, Mme Marescot, décide alors de mettre aux enchères le mobilier. Le procès verbal de la vente, qui a lieu le 14 octobre 1849, mentionne que Gustave participe à celle-ci en achetant plusieurs lots et surtout, qu’il occupe déjà les lieux.
Deux autres documents indiscutables confirment la présence des Maupassant à Miromesnil avant la naissance de Guy : le 1er juillet 1850, une procuration en faveur de son père Jules signée par « de Maupassant Gustave François de Miromesnil commune de Tourville sur Arques », et le registre de la fabrique de Tourville indiquant qu’à partir de novembre 1849, M. de Maupassant loue le banc de l’église n° 57.
Il est donc incontestable que le château de Miromesnil était bien la résidence principale des Maupassant et non un domaine loué pour la circonstance, à l’époque de la naissance de Guy.
Les mauvaises langues diront que Laure a pu malgré tout rendre visite à sa mère à Fécamp et qu’elle a été surprise par un accouchement précoce. Mais il paraît assez vraisemblable que, au vu de l’importance que revêtait pour la mère une naissance à Miromesnil, celle-ci ne se soit pas aventurée à quelque 70 km (ce qui pour l’époque, au vu de l’état des chemins, n’était pas rien), en son état, à quelques jours d’un évènement si important. N’oublions pas non plus que Guy a été ondoyé le 20 août à la chapelle de Miromesnil, ce qui implique un improbable deuxième déplacement en sens inverse moins de 15 jours après sa naissance.
Un dernier élément nous éclaire sur la présence des uns et des autres dans les différents lieux évoqués. Dans une lettre du 13 octobre 1850, publiée par Jacques Bienvenu en 1994 dans l’Angélus, la mère de Laure écrit d’une part que la famille Maupassant a passé le mois de septembre à Fécamp (ce qui pourrait expliquer les rumeurs sur sa présence dans cette ville) et, d’autre part, qu’elle-même et sa fille Virginie, la sœur de Laure, ont passé l’été à Dieppe. Cela confirme les propos d’Hubert Leroy-Jay, dont la grand-mère était cousine germaine de Maupassant, dans son livre Guy de Maupassant, mon cousin. Au passage, même si Leroy-Jay ne peut prendre que fait et cause pour la branche cousine de sa famille, il dément catégoriquement les prétentions mondaines de Laure, dont l’histoire de la particule, évoquée plus haut, n’est que pure invention. À raison, puisque les démarches administratives pour récupérer cette particule, omise par prudence à la Révolution, ont en réalité été entreprises par son beau-père Jules début 1846, bien avant qu’elle ne songe à épouser Gustave. Et comme ces démarches ont abouti en octobre, un mois avant le mariage, certains ont pu penser que Laure en avait été à l'origine.

Pour conclure, nous laisserons le mot de la fin à Louis Forestier, responsable des volumes Maupassant à l’édition Pléiade, qui écrit dans la Chronologie préfaçant le tome 1 des Contes et Nouvelles que, au vu de la location du château en 1849, « l’acte de naissance se trouve donc bien exact et la naissance de Guy à Miromesnil est avérée », ainsi qu’au conservateur du musée de Fécamp pour qui « il a été démontré que rien ne permet de sérieusement mettre en doute la naissance de Maupassant à Miromesnil près de Dieppe. En tant que Fécampois, nous pouvons le regretter, mais l’honnêteté intellectuelle oblige à le reconnaître ! »

À lire :
  • Mireille Bialek : « Guy de Maupassant est né à Miromesnil », Bulletin des Amis de Flaubert et de Maupassant, n° 9, 2001, pp. 17-23.
  • Jacques Bienvenu : « Un nouveau document capital concernant la naissance de Guy de Maupassant », L’Angélus, n° 4, janvier-février 1994, pp. 7-8.
  • Deffoux et Zavie : Le Groupe de Médan, Crès, 1925
  • Michel Fécamp : « Non, Guy de Maupassant n’est pas né à Fécamp », Études normandes/Amis de Flaubert et Maupassant, n° 1, 1992, pp. 79-82.
  • Louis Forestier : Chronologie du tome 1 des Contes et Nouvelles, Pléiade, Gallimard, 1996
  • Germain Galérant : Les Roses sadiques de Maupassant, éditions Bertout, Luneray, 1992
  • Armand Lanoux : Maupassant, le Bel-Ami, Grasset, 1979
  • Hubert Leroy-Jay : Guy de Maupassant, mon cousin, éditions Bertout, Luneray, 1993
  • Georges Normandy : Maupassant, Rasmussen, collection « la vie anecdotique et pittoresque des grands écrivains », 1926