Édouard Maynial : La vie et l’œuvre de Guy de Maupassant, Mercure de France, 1906, pp. 117-133.
Chapitre VI Troisième Partie, Chapitre I Chapitre II

TROISIÈME PARTIE
1880-1891

L’ŒUVRE

Histoire de l’œuvre : son abondance et son unité.
Le novelliere : inspiration normande. — Les premiers recueils de nouvelles : la Maison Tellier. — Mlle Fifi. — Le premier roman : Une Vie.
Accueil du public et de la critique : la vente et le succès. — Histoire anecdotique des éditions V. Havard. — Les traductions.
Les procès de Maupassant : la Maison Tellier. — L’affaire du Figaro. — L’affaire du portrait. — Le Testament.
Villégiatures et voyages : la Guillette d’Étretat. — Chasses normandes. — Séjour à Cannes : le Bel-Ami. — Voyage en Corse ; en Algérie ; en Bretagne ; en Italie, en Sicile ; en Tunisie ; en Angleterre ; en Auvergne : Mont-Oriol.
Maupassant et la vie mondaine : les amitiés littéraires. P. Bourget, Taine, Edm. de Goncourt.
Maupassant et l’Académie.
L’un des personnages que Maupassant a mis en scène, le peintre Olivier Bertin, se plaint avec mélancolie de l’épuisement des sujets :
Autrefois, dit-il, le monde des motifs nouveaux me paraissait illimité, et j’avais, pour les exprimer, une telle variété de moyens que l’embarras du choix me rendait hésitant. Or, voilà que, tout à coup, le monde des sujets entrevus s’est dépeuplé, mon investigation est devenue impuissante et stérile. Les gens qui passent n’ont plus de sens pour moi, je ne trouve plus en chaque être humain ce caractère et cette saveur que j’aimais tant discerner et rendre apparents1.
Nul doute que cette plainte ne renferme un écho de l’étonnement douloureux qu’éprouvait l’auteur lui-même en sentant sa veine se tarir et son observation s’épuiser. Fort comme la mort est de l’année 1889 : l’amère tristesse dont ce roman est imprégné trahit les propres préoccupations de l’artiste, l’ennui de vieillir, la crainte de la solitude, de la mort, les désillusions de l’amour et les défaillances de la gloire. À partir de 1889, à la veille de la crise irrémédiable, la production littéraire de Maupassant n’est ni aussi régulière ni aussi abondante que pendant ses premières années d’activité ; son dernier roman, Notre cœur, se distingue nettement des autres par la sobriété d’invention et la simplicité d’action. Ce n’est plus le temps où l’auteur fécond publiait presque tous les ans un roman nouveau et où son inlassable imagination pouvait fournir en même temps à plusieurs journaux la matière de deux ou trois recueils de nouvelles.
Cette production considérable n’a rien d’anormal et n’est pas unique dans l’histoire des lettres. Mais si l’on songe que presque toutes les œuvres qui naquirent aussi hâtivement, en quelques années, ne sont pas éloignées d’être des chefs-d’œuvre, qu’elles sont écrites en une langue élégante et pure, une des plus limpides de notre littérature, il ne suffit pas, pour expliquer un effort aussi soutenu, de dire qu’il était servi par une volonté énergique et une facilité exceptionnelle. Il faut aussi se rendre compte des conditions dans lesquelles Maupassant écrivait, du travail de composition que représente chacun de ses romans, des qualités d’observateur ou d’investigateur sur lesquelles se fondait son invention.
Aussi bien, l’histoire de sa vie, entre 1880 et 1890, n’est-elle que l’histoire même de son œuvre. Ces dix années pendant lesquelles Maupassant publia six romans, seize volumes de nouvelles, trois livres d’impressions de voyages, et de nombreux articles de journaux non réimprimés dans ses œuvres complètes, ne comportent guère d’autres événements importants que la préparation ou la publication d’un volume nouveau. Pendant huit ans, il ne produisit pas moins de trois livres par an, quelquefois même davantage, quatre en 1884, cinq en 18852.
Peu de souvenirs se rattachent à cette période de la vie de Maupassant. Nous n’aurons pas à conter, comme pour ses années d’enfance et de jeunesse, ces anecdotes caractéristiques où se révèlent la formation d’un tempérament et l’éveil d’une vocation. Belle, laborieuse et régulière, son existence devient silencieuse, précisément à partir du jour où le succès de l’œuvre attire sur l’homme la curiosité inévitable du public. Déjà célèbre, l’écrivain se renferme dans une solitude pleine de simplicité, et volontiers à ceux qui s’informaient auprès de lui de renseignements biographiques il aurait répondu : « Ma vie n’a pas d’histoire. » Quelques amitiés et quelques liaisons discrètes, de nombreux voyages auxquels l’entraînaient le souci de sa santé, l’amour de l’indépendance et le désir de renouveler son observation, mais surtout la préoccupation constante, impérieuse jusqu’à la hantise, de son œuvre, tels sont les traits essentiels qu’on en peut retenir.
Pour expliquer cette fièvre de production dans laquelle Maupassant vécut pendant dix ans, ce besoin de publier et cette hâte à écrire, il faut bien faire intervenir d’autres raisons que la passion tyrannique de l’art. Sans doute, le disciple de Flaubert conservait fidèlement les préceptes et les traditions du maître : l’artiste, professait-il, doit faire son œuvre pour sa propre satisfaction d’abord, ensuite pour le suffrage d’une élite ; peu importe le résultat, peu importe le succès. Mais tandis que chez Flaubert le culte de l’art exclut toute préoccupation de gain, chez Maupassant l’écrivain consciencieux est doublé d’un Normand avisé. On conte que Flaubert, le jour où Dalloz, pour la publication des trois contes dans le Moniteur, lui remit un billet de mille francs, s’en fut le montrer à un ami, en lui disant avec un étonnement naïf : « Cela rapporte donc, la littérature3 ? » Maupassant trouvait qu’il était d’un excellent exemple, au point de vue social, qu’un véritable littérateur parvînt à la fortune. Il louait grandement Hugo d’avoir fait d’heureuses entreprises de librairie4. Lui-même s’entendait fort bien à régler ses intérêts, à organiser les séries fructueuses d’éditions. Il lui arrivait de dire, en s’efforçant de donner à son franc visage une expression néronienne : « J’aimerais à ruiner un jour quelques éditeurs. » Et de rire aux larmes5 ! Aussi le verrons-nous, en plein succès, toujours préoccupé de traités et de comptes d’éditeurs, intraitable sur ses droits, processif au besoin, jaloux de faire respecter, même par une intervention judiciaire, les moindres parcelles de son œuvre.

I

C’est à une nouvelle que Maupassant avait dû son premier grand succès littéraire6. Aussi, avec ce sens de la réalité pratique qui est un des traits de son caractère, abandonne-t-il résolument la poésie et le théâtre pour se consacrer à la nouvelle et au roman. Il suivait en cela l’un des derniers conseils que lui adressait son maître : « Je maintiens que Boule de Suif est un chef-d’œuvre. Tâche d’en faire une douzaine comme ça et tu seras un homme7 ! » Moins d’un an après, les douze nouvelles étaient écrites, ou peu s’en fallait, et ce fut le recueil de la Maison Tellier.
Pour suffire à une production aussi rapide et aussi abondante, une grande puissance de travail était nécessaire. Dès 1881, Maupassant s’est astreint à un labeur régulier : il travaillait méthodiquement chaque matin de sept heures à midi ; il écrivait en moyenne six pages par jour, et la phrase était assez bienvenue pour qu’il raturât fort peu8. Contrairement à l’opinion généralement répandue, il rédigeait, avant de composer, les observations qu’il comptait utiliser : un de ses amis affirme qu’il ne se couchait jamais sans avoir noté tout ce qui l’avait frappé dans la journée9. Comme nous aurons l’occasion de le constater plus d’une fois, en étudiant la composition de ses nouvelles et de ses romans, tous les détails étaient soigneusement arrêtés d’avance et minutieusement contrôlés.
Après le succès de Boule de Suif, lorsque Maupassant eut définitivement adopté le genre littéraire qui convenait le mieux à ses ressources d’écrivain, il songea naturellement à utiliser ses souvenirs, ses impressions d’enfance et de jeunesse, les observations qu’il avait faites sous le contrôle et sous la discipline de Flaubert. Aussi la part d’invention proprement dite est-elle assez restreinte dans ses premières nouvelles. Sa connaissance parfaite du pays normand, jointe à ses expériences toutes récentes de la vie parisienne, va lui fournir tout de suite un grand nombre de sujets et de types qu’il n’aura plus qu’à transposer. Souvent même l’inspiration lui viendra d’un ami, d’un Normand resté plus que lui en contact direct avec la province natale, avec le sol normand et l’âme normande. Parfois l’aventure, puisée à bonne source et contée sans précaution, sera si véridique et si cruelle que les bonnes gens d’Étretat, d’Yvetot ou de Fécamp s’alarmeront ou s’indigneront, et il y aura de passagers malentendus entre la terre nourricière et le fils irrespectueux. Maupassant recueillait au cours d’une conversation familière avec M. Charles Lapierre10, avec M. ou Mme Brainne11, les faits notables et les incidents pittoresques empruntés à la chronique secrète de Gisors, de Rouen ou des Andelys ; autour d’un détail qui l’avait frappé, il bâtissait une intrigue très simple ; puis il mêlait au récit certains personnages rencontrés autrefois dans les parages de la maison maternelle.
C’est ainsi que fut composée la Maison Tellier. Dans son Journal Edm. de Goncourt rapporte, d’après Toudouze, que le sujet de la nouvelle aurait été fourni par Hector Malot à Maupassant qui modifia le dénouement primitif12. Ce détail est, paraît-il, inexact. L’anecdote qui servit de point de départ au récit a été contée à l’auteur par M. Charles Lapierre : la Maison Tellier, que Maupassant a placée à Fécamp, existe réellement à Rouen, rue des Cordeliers ; la cérémonie religieuse qui est l’épisode caractéristique de la nouvelle a eu lieu dans un village des environs de Rouen, au Bois-Guillaume, ou à Quincampoix13.
Maupassant élabora longuement cette matière qui lui était proposée. La composition de la Maison Tellier l’occupa plusieurs mois. Il y travaillait encore pendant son voyage en Algérie, qu’il fit en automne 1881, s’il faut en croire du moins le témoignage de Jules Lemaître, qui le rencontra à Alger :

« Maupassant vint me voir, accompagné de Harry Alis... J’interrogeai poliment Maupassant sur ses travaux. Il me dit qu’il était en train d’écrire une longue nouvelle, dont la première partie se passait dans un mauvais lieu et la seconde dans une église14. »

Depuis longtemps, Maupassant entretenait ses amis du projet qu’il avait en tête. Il en avait parlé à Tourguéneff ; voici même à ce sujet un détail inédit : l’auteur met en scène, dans son récit, des matelots anglais et français en bordée ; ignorant l’anglais, il voulait connaître avec précision les premières paroles de l’hymne national que chantent les marins de la flotte britannique ; il se renseigne auprès de Tourguéneff, qui lui répond :
C’est Rule Britannia, Britannia rules the Waves, que chantent les matelots anglais. On peut se contenter des deux premiers mots15.
Et nous retrouvons en effet dans la Maison Tellier cette phrase :

« Les bourgeois allaient se retirer quand la bande tumultueuse des hommes du port reparut au bout de la rue. Les matelots français braillaient la Marseillaise, les anglais le Rule Britannia16. »

Tout en travaillant à la Maison Tellier, Maupassant avait écrit d’autres nouvelles plus courtes, qu’il publiait dans des journaux ou des revues. En famille parut le 15 février 1881, dans la Nouvelle Revue où Mme Adam avait enfin accueilli le disciple de Flaubert. Ce fut un nouveau succès. Tourguéneff écrit à son ami : « J’ai lu votre nouvelle dans la Nouvelle Revue avec le plus grand plaisir, et nos amis de la rue de Douai (qui sont très difficiles) partagent entièrement mon sentiment17. » L’Histoire d’une fille de ferme fut publiée dans la Revue bleue du 26 mars 1881.
Maupassant eut bientôt la matière d’un recueil de nouvelles, et il chercha un éditeur. Il ne s’adressa pas à Charpentier, qui avait publié Des Vers et les Soirées de Médan, mais il entra en pourparlers avec Victor Havard, qui devait éditer régulièrement, jusqu’en 1887, presque tous ses livres18.
Il lui soumit d’abord trois seulement des nouvelles qui composaient le volume, notamment la Maison Tellier et le Papa de Simon. Il avait pris soin de l’avertir que la Maison Tellier était « raide et très audacieuse19 ». Voici la réponse de l’éditeur :
Mon cher auteur, j’ai beaucoup regretté d’être absent lors de votre visite, mais enfin j’ai lu avec plaisir les nouvelles que vous m’avez laissées. Ainsi que vous me l’aviez fait pressentir, la Maison Tellier est raide et très audacieuse ; c’est surtout un terrain brûlant qui soulèvera, je crois, bien des colères et de fausses indignations (sic) ; mais en somme elle se sauve par la forme et par le talent ; tout est là, et je serais bien trompé si vous n’aviez pas un fameux succès (je ne parle pas du succès littéraire qui est acquis d’avance, mais du succès de librairie). Quant au Papa de Simon, c’est tout simplement un petit chef-d’œuvre. Comme vous m’aviez manifesté le vif désir de voir enlever ce volume très rapidement, j’ai remis les trois nouvelles à l’imprimerie aussitôt lues, et je vous prierai de bien vouloir être assez bon pour me fixer un rendez-vous, afin que nous puissions arrêter ensemble la date de la publication à quelques jours près20.
La Maison Tellier parut à la fin de 1881 chez Havard. Le livre comprenait huit nouvelles : outre les quatre récits que nous avons déjà mentionnés, Sur l’eau, Une partie de campagne, Au printemps et la Femme de Paul forment comme un groupe à part ; ces nouvelles reflètent exactement la vie de l’auteur entre 1876 et 1880, ses impressions du bord de l’eau, entre Chatou et Maisons-Laffitte ; toutes relatent des promenades à deux dans la banlieue parisienne, des scènes de baignade ou des parties de canotage. Dans l’édition Ollendorff, qui parut en 1891, le recueil renferme un neuvième conte, les Tombales.
La Maison Tellier eut en effet un gros succès : douze éditions s’enlevèrent en deux ans ; Tourguéneff, à qui le livre était dédié, fit traduire l’œuvre et connaître l’écrivain en Russie ; le journal le Golos publia « un grand diable d’article très bien fait et très chaud21 ».
L’année suivante, en 1882, Maupassant put rassembler en un second volume les nouvelles qu’il avait écrites. S’inspirant encore une fois de ses souvenirs de la guerre de 1870 et reprenant un type dont il avait donné avec Boule de Suif une première esquisse, il écrivit Mlle Fifi. Il la fit paraître avec six autres récits à Bruxelles, chez Kistemaeckers ; l’ouvrage, précédé d’une eau-forte de Just, était luxueusement édité22 ; il fut épuisé en quelques jours. Il fallut en refaire une nouvelle édition qui parut en 1884, chez Havard, augmentée de onze nouvelles23.
Maupassant cependant travaillait à son premier roman, Une Vie, qu’il acheva en 1883. Entre temps, il écrivit une étude sur É. Zola, qu’édita la maison Quantin24.
C’est par la nouvelle que Maupassant fut conduit au roman. On a tort, en général, d’étudier chez l’écrivain distinctement le romancier et le conteur. Outre que les mêmes qualités se retrouvent chez l’un et chez l’autre, il y a chez le conteur de nouvelles une faculté d’information et de recherche qui ne cesse jamais d’être au service du romancier. En réalité, Maupassant n’avait pas de meilleur moyen d’écrire ses romans et de les faire copieux, abondants en péripéties et en observations de détail, que de rédiger, pour les journaux auxquels il collaborait, de nombreuses nouvelles. Celles-ci se sont trouvées très souvent n’être que des notes prises au courant de la réalité pour le roman projeté, et nous les pourrons consulter, parfois comme de premières esquisses des chapitres définitifs, toujours comme de curieux documents sur la composition et la mise en œuvre du roman.
Ce procédé de travail est particulièrement apparent dans Une Vie. L’idée d’écrire un roman n’était pas nouvelle chez Maupassant ; elle remonte aux premières années de sa carrière littéraire. Nous l’avons vu, eu 1877, confier à sa mère, puis à son maître, un plan complet dont l’élaboration l’occupa très longtemps25. Y a-t-il quelque chose de commun entre ce projet, qui avait tnchanté Flaubert, et l’œuvre définitive qui paraît en 1883 ? Il est difficile de le dire. En tout cas, il y a identité d’inspiration entre ce roman et les nouvelles que Maupassant écrivait entre 1880 et 1883. À son premier récit de longue haleine, l’auteur a donné pour cadre presque unique le pays dans lequel son observation s’est éveillée et d’abord exercée. Une Vie se passe tout entière, — à part l’épisode du voyage de noces, — au pays normand. On peut même dire que, dans un roman où les incidents se suivent aussi nombreux et quelquefois aussi incohérents qu’ils le sont dans une existence réelle, c’est l’unité de lieu qui crée l’unité d’action ; l’auteur est parvenu à nous familiariser avec ce pays de Caux, en nous le présentant commme le milieu naturel et nécessaire de ses personnages, au point que nous ne séparons plus les événements du paysage qui les enveloppe, et que celui-ci prête à ceux-là de sa réalité. Aussi bien sait-on aujourd’hui ce qu’il y a de réel dans la simplicité tragique du récit, et l’épigraphe du volume l’Humble vérité pourrait être strictement justifiée. Quant à l’idée même et au dessin général du livre, on a observé plus d’une fois qu’ils n’étaient point sans analogie avec ceux du conte de Flaubert, Un Cœur simple. Maupassant a peut-être été tenté par une forme littéraire que lui proposait l’exemple de son maître ; mais l’intrigue, qui lui est personnelle, est la transposition d’une série d’aventures vécues autour de lui et par des personnages qu’il avait rencontrés dans sa jeunesse.
Plusieurs épisodes d’Une Vie se retrouvent dans les recueils de nouvelles. Ces souvenirs, ces impressions, ces paysages et ces types de la Normandie, qui donnent au roman sa couleur spéciale, occupent à cette époque l’imagination de l’auteur et lui fournissent la matière de ses contes : la Maison Tellier, Mlle Fifi, qui sont antérieurs à Une Vie, les Contes de la bécasse, qui sont de la même année, Clair de lune et les Sœurs Rondoli, qui paraissent l’année suivante, sont remplis d’histoires normandes, aventures de chasse ou de pêche, farces et paysanneries26.
Une Vie fut publiée en feuilleton par le Gil Blas27 ; le succès en fut immédiat et considérable : la maison Havard, qui édita le roman en 1883, mettait en vente le vingt-cinquième mille au commencement de 1884, et cela en pleine crise de la librairie28. L’auteur reçut d’Angleterre une première demande de traduction, bientôt suivie de propositions analogues dans les autres pays de l’Europe29.
C’est à celle date que commencent vraiment pour Maupassant la fortune et la célébrité ; c’est aussi le moment de sa plus grande fécondité : les recueils de nouvelles et de romans vont se suivre sans aucune interruption pendant six ans ; le nom de l’auteur et son œuvre s’imposaient ainsi presque d’un seul coup au public.

1 Fort comme la mort (édit. Ollendorff illustrée), p. 114.
2 Nous donnons ici non une bibliographie complète, mais la classification chronologique de ses œuvres, nécessaire pour éclairer ce qui va suivre : 1880, Des Vers, Boule de Suif. 1881, la Maison Tellier. 1882, Mlle Fifi. 1883, Une Vie, Contes de la Bécasse. 1884, Clair de lune, Au Soleil, Miss Harriet, Sœurs Rondoli. 1885, Toine, Yvette, Bel-Ami, Contes et Nouvelles, Contes du jour et de la nuit. 1886, Monsieur Parent, la petite Roque. 1887, Mont-Oriol, le Horla. 1888, Pierre et Jean, le Rosier de Mme Husson, Sur l’eau. 1889, la Main gauche, Fort comme la mort. 1890, Notre Cœur, l’Inutile beauté, la Vie errante.
3 Souvenirs intimes de Ch. Lapierre, A. Lumbroso, p. 617.
4 Souvenirs d’H. Roujon, loc. cit.
5 H. Roujon, loc. cit.
6 Les Soirées de Médan avaient eu huit éditions en quelques mois.
7 Correspondance de Flaubert, IV, p. 380.
8 Souvenirs de Mme de Maupassant, A. Lumbroso, p. 339.
9 Souvenirs de M. Charles Lapierre.
10 Charles Lapierre, né à Gisors (Eure), en 1828. Successivement rédacteur au Moniteur du Loiret, au Courrier de l’Eure et au Nouvelliste de Rouen ; directeur du Nouvelliste de Rouen de 1871 à 1892. Écrivit au Journal des Débats quelques articles littéraires. Mort en 1893. Charles Lapierre était très lié avec Flaubert, qui le mit en relations avec Maupassant.
11 Charles Brainne, né à Gisors en 1827. Publiciste, Charles Lapierre et Charles Brainne avaient épousé Mlles Rivoire, filles du directeur du Nouvelliste de Rouen. C’est à Mme Brainne qu’est dédié le roman Une Vie.
12 Journal des Goncourt, t. IX, 10 juin 1894.
13 Cf. les Souvenirs de Ch. Lapierre (A. Lumbroso, p.611), confirmés par le témoignage de R. Pinchon (Ibid., p. 358).
14 J. Lemaître, les Contemporains, t. V, pp. 2 et 3.
15 Correspondance de Tourguéneff avec ses amis français, p. 273 ; la lettre doit être rapportée à mars ou avril 1881.
16 Édit. ill. Ollendorff, p. 15.
17 Correspondance, p. 273.
18 Voici la liste des principales éditions de Maupassant chez Victor Havard : la Maison Tellier (1881), Mlle Fifi (1883), Une Vie (1883), Contes de la Bécasse (1887, quatre ans après la première édition, chez Rouveyre et Blond). — Au Soleil (1884), Miss Harriet (1884), Yvette (1885), Bel-Ami (1885), la Petite Roque (1886), Mont-Oriol (1887), l’Inutile Beauté (1890).
19 Tous ces détails sont empruntés aux lettres de V. Havard à Maupassant publiées par A. Lumbroso, pp. 391 à 400, 411 à 421, 432 à 439, 447 à 451. Tout ce dossier est extrêmement intéressant pour l’histoire des œuvres de Maupassant.
20 Lettre du 8 mars 1881.
21 Correspondance de Tourguéneff avec ses amis français, p. 275. Cf. Ibid., p. 269.
22 Il existe un exemplaire avec 56 aquarelles originales de Morland, au prix de 405 francs. (G. Vicaire, loc. cit.)
23 Les sept nouvelles de l’édition Kistemaeckers sont : Mlle Fifi, la Bûche, le Lit, Un Réveillon, Mots d’amour, Une Aventure parisienne, Marroca. Les neuf autres nouvelles de l’édition Havard sont : Madame Baptiste, la Rouille, la Relique, Fou ?, Réveil, Une Ruse, À cheval, Deux amis, le Voleur, Nuit de Noël, le Remplaçant.
24 Brochure de 32 pp. avec un portrait d’É. Zola par Burney et des simili d’autographes.
25 Voir plus haut, p. 99.
26 La Maison Tellier, Histoire d’une fille de ferme (1881), Un Réveillon, le Remplaçant (1882), Ce cochon de Morin, Farce normande, les Sabots, Un Normand, Aux Champs {1883), le Petit fût, le Cas de Mme Luneau, Un coup d’État, le Loup, Conte de Noël, Une Veuve (publiés dans des recueils de 1884, mais écrits en 1883).
27 Du 25 février au 6 avril 1883.
28 Cf. une lettre de l’éditeur Havard à Maupassant (A. Lumbroso, p. 395.)
29 Cf. même lettre. — Une nouvelle édition d’Une Vie, revue, paraît chez Ollendorff en 1893, avec un portrait de Maupassant et un fac-similé d’autographe. Plus récemment, la maison Ollendorff a publié une autre édition, illustrée par A. Leroux ; il est à remarquer que, dans cette dernière édition, la dédicace à Mme Brainne, qui figure dans toutes les autres, a été supprimée.

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